Actu-tendance n° 668

Jurisprudence – Relations individuelles

Rappel : La loi Sapin 2 (L. n° 2016-1691, 9 décembre 2016, JO du 10), a introduit la mise en place d’une procédure de recueil et de traitement des alertes internes obligatoire dans les entreprises d’au moins 50 salariés.
Ainsi, le lanceur d’alerte devait suivre une procédure de signalement graduée lui imposant de :
  • saisir d’abord son supérieur hiérarchique, son employeur ou un référent désigné dans l’entreprise (alerte interne) ;
  • et seulement en l’absence de réponse, se tourner vers l’administration ou la justice (alerte externe).
Une exception était prévue en cas de danger grave et imminent ou de risque de dommages irréversibles. Dans cette hypothèse, le lanceur d’alerte pouvait saisir directement l’administration ou la justice.
Depuis lors, la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte dite « loi Waserman » entrée vigueur depuis le 1er septembre 2022, a modifié la procédure de signalement des alertes, de sorte que la procédure graduée n’est plus obligatoire.
Dans cette affaire, la Cour de cassation donne des précisions s’agissant des dispositions anciennes applicables au litige, c’est-à-dire avant l’entrée en vigueur de la loi Waserman. 
Le lanceur d’alerte a-t-il une obligation de respecter la procédure d’alerte graduée avant de dénoncer des faits constitutifs d’un crime ou d’un délit ?

Cass. soc., 15 février 2023, n° 21-20.342

L’affaire concerne une salariée engagée depuis décembre 2010, en qualité de surveillante de nuit au sein d’une maison d’enfants à caractère social.

En juin 2018, elle a effectué un signalement auprès de l’inspection du travail pour dénoncer des incidents se déroulant la nuit, notamment de possibles agressions sexuelles commises par certains enfants accueillis sur d’autres.

À l’issue de ce signalement, l’Inspection du travail a effectué un contrôle au sein de l’établissement au cours duquel la salariée a remis la copie d’un courriel adressé par l’équipe éducative aux responsables de l’association pour dénoncer les faits.

L’Inspection du travail a informé le procureur de la République de faits ne relevant pas de ses compétences mais lui paraissant mettre en danger les salariés et les enfants confiés à cette institution.

À l’issue de deux enquêtes classées sans suite (l’une pour agression sexuelle sur mineurs et une autre visant la salariée pour dénonciation mensongère), la salariée a été licenciée.

La lettre de licenciement faisait grief à la salariée d’avoir interpellé l’Inspection du travail pour faire état de conditions de travail dangereuses pour elle-même et les enfants, et d’avoir effectué sans autorisation une copie du cahier de liaison et transmis une copie de mails à l’inspectrice du travail, ces déclarations et ce comportement ayant eu pour conséquence l’ouverture d’une enquête pénale.

Considérant que ce licenciement était en lien avec la dénonciation des manquements constatés au sein de l’établissement, elle a saisi le conseil de prud’hommes en référé pour obtenir sa réintégration.

En défense, l’employeur soutenait que la salariée n’avait pas respecté la procédure graduée de signalement ; de sorte qu’elle ne pouvait prétendre à la protection des lanceurs d’alerte. Il reprochait également à la salariée la mauvaise foi dans la mesure où elle avait communiqué à l’inspection du travail un courrier d’alerte interne couvert par le secret professionnel évoquant des incidents de nature sexuelle au sein d’un groupe d’enfants, alors qu’elle était informée que cette alerte avait été traitée par la direction.

La Cour d’appel a jugé que la procédure d’alerte graduée n’était pas obligatoire en cas de dénonciation de faits constitutifs d’un crime ou d’un délit. Elle en a déduit que le licenciement de la salariée était nul et a ordonné la réintégration immédiate de la salariée à son poste.

L’employeur s’est pourvu en cassation mais n’a pas obtenu  gain de cause. La Cour de cassation a rappelé les dispositions de l’article L. 1132-3-3 du Code du travail dans sa version applicable au litige qui interdit de sanctionner ou de licencier un salarié pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions.

Elle en a déduit que le salarié :

  • d’une part, qui relate ou témoigne de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions n’est pas tenu de signaler l’alerte selon la procédure graduée et ;
  • d’autre part, ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance de la fausseté des faits qu’il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.

Elle approuve la Cour d’appel d’avoir déclaré le licenciement nul après avoir constaté que la lettre de licenciement faisait référence à l’alerte donnée par la salariée.

La Cour de cassation a ajouté qu’aucune mauvaise foi ne pouvait être reprochée à la salariée en l’espèce dès lors qu’elle s’était appuyée sur des documents internes à l’entreprise et n’avait aucun moyen de savoir si les faits qu’elle-même et ses collègues redoutaient étaient ou non avérés.

Note : Depuis le 1er septembre 2022, les lanceurs d’alertes ne sont plus tenus d’émettre une alerte interne et peuvent directement procéder à un signalement externe auprès de l’administration ou de la justice.

Rappel : En principe, aucune modification de son contrat de travail ni aucun changement de ses conditions de travail, quelle qu’en soit la cause, ne peut être imposé à un salarié protégé (Cass. soc., 23 septembre 1992, n° 90-45.106).  
La Cour de cassation considère que l’accord du salarié à la modification doit être exprès (Cass. soc., 18 décembre 2012, n° 11-13.813) car la modification, dans le cas d’une mutation par exemple, peut entraîner la fin de son mandat et de la protection liée (Cass. soc., 3 novembre 2016, n° 15-16.026). 
En cas de mutation pour motif disciplinaire, le fait pour le salarié de se rendre sur son nouveau lieu de travail sans contestation présume-t -il de son acceptation ?

Cass. soc., 15 février 2023, n° 21-20.572

Dans cette affaire, un salarié engagé en qualité d’agent de propreté était titulaire d’un mandat de délégué du personnel. Son contrat de travail prévoyait un salaire mensuel auquel s’ajoutait une prime mensuelle de forfait vitrerie.

En mars 2009, à la suite des préconisations du médecin du travail, l’employeur a reclassé le salarié sur un poste d’ouvrier nettoyeur et, l’a informé que la prime de forfait vitrerie serait intégrée dans sa rémunération brute mensuelle.

En décembre 2011, l’employeur a notifié au salarié une mutation disciplinaire à la suite de plaintes des clients du site sur lequel le salarié était affecté.

En décembre 2014, l’employeur avait envisagé son licenciement mais lui notifia finalement un avertissement après que l’Inspection du travail ait refusé d’autoriser le licenciement.

Le salarié a saisi la juridiction prud’homale afin d’obtenir l’annulation de sa mutation disciplinaire d’une part et d’autre part des dommages et intérêts et un rappel de salaire et de primes.

S’agissant de l’annulation de la mutation disciplinaire

Le salarié reprochait à son employeur de lui avoir imposé une mutation disciplinaire sur un autre site sans son accord en dépit de sa qualité de salarié protégé.

La Cour d’appel a débouté le salarié au motif que ce dernier avait implicitement accepté la mutation en rejoignant son nouveau lieu de travail sans contestation.

Le salarié s’est pourvu en cassation. Pour lui, l’acceptation par un salarié protégé d’une modification de son contrat de travail ou d’un changement des conditions de travail ne pouvait résulter ni de l’absence de protestation de celui-ci, ni de la poursuite par l’intéressé de son travail.

La Cour de cassation lui donne raison et juge que l’acceptation par le salarié en l’espèce ne pouvait se déduire de l’absence de protestation face à sa mutation.

S’agissant du harcèlement moral

Le salarié considérait que les sanctions ainsi que le licenciement envisagé à son encontre pris dans l’ensemble étaient constitutifs de harcèlement moral.

La Cour d’appel a débouté le salarié de ses demandes au motif que celui-ci ne donnait « aucun élément sur le préjudice qui en serait résulté (…) alors qu’aucun préjudice n’est automatique ».

La Cour de cassation n’est pas du même avis.

Elle casse l’arrêt d’appel et rappelle qu’il appartient au juge :

  • d’une part d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte tous les documents éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral ;
  • et, dans l’affirmative, d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Note : Les solutions retenues par la Cour de cassation dans cet arrêt ne sont pas nouvelles.

S’agissant de la mutation, la Cour de cassation juge depuis longtemps qu’aucune modification de son contrat de travail ni aucun changement de ses conditions de travail ne peut être imposé au salarié protégé et ce, quel que soit le motif de cette modification ou de ce changement, notamment disciplinaire ou économique (Cass. soc., 25 nov. 1997, no 94-42.727).

S’agissant de la preuve en matière de harcèlement moral, il est constant que le salarié se disant victime doit seulement présenter des éléments de faits laissant supposer le harcèlement et le juge doit vérifier la matérialité des faits (Cass. soc., 9 décembre 2020, n° 19-13.470).

Rappel : La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise (Cass. soc., 27 septembre 2007, n° 06-43.867).
L’ancienneté du salarié suffit-elle à écarter la qualification de faute grave dans le cas d’un management brutal ?

Cass. soc., 8 février 2023, n° 21-11.535 

L’affaire concerne un salarié engagé en qualité de directeur général par une association, qui a été licencié pour faute grave en juin 2016.

L’employeur reprochait au salarié de mettre en œuvre un management inapproprié, de nature à impressionner et nuire à la santé de ses subordonnés, à travers des « critiques vives et méprisantes », des ordres et contre-ordres peu respectueux du travail des salariés.

Contestant le bien-fondé de son licenciement, il a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes au titre de l’exécution et de la rupture de son contrat de travail.

Les juges du fond ont requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse au motif que le mode de management « trop brutal et méprisant » reproché au salarié, ne pouvait constituer une faute grave de nature à rendre impossible la poursuite du contrat de travail pendant le préavis, alors que ce salarié était en fonction depuis plus de cinq ans.

L’employeur, condamné, s’est pourvu en cassation. Pour lui, le seul fait que le salarié bénéficiait d’une certaine ancienneté n’était pas de nature à écarter la gravité de sa faute.

La Cour de cassation lui donne raison. Elle considère que le motif tiré de l’ancienneté est à lui seul, insuffisant pour écarter la qualification de faute grave.

Note : Il résulte de cet arrêt qu’une ancienneté relativement importante n’empêche pas la qualification d’une faute grave. La Cour de cassation avait déjà statué en ce sens par un arrêt du 7 juin 2011 en jugeant que nonobstant une ancienneté importante et une absence de remarque de l’employeur pendant cette période, un salarié ayant commis des faits de harcèlement moral et sexuel à l’encontre d’autres salariés, commet une faute grave (Cass. soc., 7 juin 2011, n° 09-43.113).

Rappel : L’article L. 323-3 du Code de la sécurité sociale dispose que :
« L’indemnité journalière est servie, en cas de travail à temps partiel pour motif thérapeutique, dans les cas suivants :
1° Le maintien au travail ou la reprise du travail et le travail effectué sont reconnus comme étant de nature à favoriser l’amélioration de l’état de santé de l’assuré ;
2° L’assuré doit faire l’objet d’une rééducation ou d’une réadaptation professionnelle pour recouvrer un emploi compatible avec son état de santé ». 
Le salarié peut ainsi sous certaines conditions prétendre au maintien provisoire de tout ou partie des indemnités journalières d’assurance maladie. L’employeur à son niveau verse le salaire pour la partie travaillée.
Le salarié, dont la prise en charge par l’assurance maladie de la période non travaillée de son mi-temps thérapeutique a cessé, est-il fondé à réclamer à son employeur le salaire pour ces périodes non travaillées ?

Cass. soc., 8 février 2023, n° 21-16.433

Un salarié engagé en qualité d’ouvrier, suivant CDI à temps complet a été victime d’un accident de la circulation sans lien avec son activité professionnelle en août 2001 et placé en arrêt-maladie.

Le médecin du travail l’a ensuite déclaré apte à reprendre ses fonctions en mi-temps thérapeutique.

A compter d’août 2004, l’assurance maladie a cessé de prendre en charge les indemnités journalières durant ses périodes d’absence pour mi-temps thérapeutique.

Le mi-temps thérapeutique s’est néanmoins poursuivi jusqu’en décembre 2011, date à laquelle le salarié a signé un avenant précisant qu’il arrêtait son activité à temps plein pour une activité à temps partiel.

Le salarié a saisi la juridiction prud’homale aux fins d’obtenir le paiement de rappel de salaire. Il soutenait que dès lors qu’il n’y avait pas eu de formalisation du passage d’un temps plein à un temps partiel par un avenant au contrat de travail, le contrat était présumé à temps plein pour la période du mi-temps thérapeutique antérieure à la signature de l’avenant.

En conséquence, du fait de l’absence de versement par son organisme de sécurité sociale des indemnités journalières durant les périodes non travaillées de son mi-temps thérapeutique, l’employeur devait le rémunérer.

La Cour d’appel l’a débouté au motif que le salarié qui invoque l’absence de prise en charge par l’assurance maladie des indemnités journalières durant les périodes non travaillées de son mi-temps thérapeutique, n’est pas fondé à réclamer à l’employeur de procéder au paiement des salaires durant les périodes litigieuses au cours desquelles il était en arrêt de travail. Le salarié s’est pourvu en cassation.

La Cour de cassation approuve la Cour d’appel. Elle rappelle que le salarié dont l’employeur a accepté le principe d’une reprise de son travail en temps partiel thérapeutique peut prétendre de la part de celui-ci au paiement du salaire dû en contrepartie uniquement de l’activité à temps partiel exercée dans ce cadre.

Elle retient qu’en l’espèce, le salarié n’était pas fondé à réclamer à l’employeur le paiement des salaires durant ces périodes non travaillées.

Note : La solution n’est pas nouvelle. La Cour de cassation avait déjà jugé par un arrêt du 21 mars 2007 que le salarié ne peut être considéré comme étant en arrêt de travail maladie pour la partie non travaillée de son mi-temps thérapeutique. Il ne peut donc pas solliciter le maintien de salaire dû en cas d’arrêt de travail consécutif à une maladie ou un accident du travail (Cass. soc., 21 mars 2007, n° 06-40.891).

Rappelons également que dans le cadre d’un passage du salarié en mi-temps thérapeutique, il n’y a pas d’obligation de respecter un formalisme (signature d’un avenant au contrat de travail).

Rappel : Un contrat de travail à temps partiel doit être écrit et comporter certaines mentions listées à l’article L. 3123-6 du Code du travail :
  • la durée de travail hebdomadaire ou, le cas échéant, mensuelle de base prévue ;
  • la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou entre les semaines du mois.
Le contrat à temps partiel est présumé conclu à temps complet en l’absence d’écrit. 
En cas de réduction du temps de travail du salarié par l’employeur et en l’absence d’avenant, le fait que les relations se poursuivent dans les nouvelles conditions sans contestation du salarié suffisent-elles à faire présumer de l’accord du salarié ?

Cass. soc., 8 février 2023, n° 21-15.863

Dans cette affaire, un salarié engagé en qualité de vendeur encaisseur par un contrat à temps partiel de 30 heures par semaine en mars 1994, a travaillé à temps complet à compter de mars 1999.

En septembre 2012, l’employeur a réduit unilatéralement le nombre d’heures du salarié à 108,33 par mois.

Puis en mai 2015, il lui a proposé de réduire son contrat à 76 heures. Le salarié a refusé cette dernière diminution du nombre de ses heures de travail.

En septembre 2015, il a pris acte de la rupture de son contrat de travail, et a saisi la juridiction prud’homale aux fins de faire requalifier son contrat de travail en contrat à temps plein à compter de septembre 2012 et juger que sa prise d’acte avait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Pour lui, l’absence de contrat écrit mentionnant la réduction de son temps de travail faisait présumer que l’emploi était à temps complet.

La Cour d’appel a débouté le salarié de ses demandes au motif que celui-ci avait tacitement accepté son passage à 108,33 heures par mois en 2012, dès lors que les relations contractuelles se sont poursuivies dans les nouvelles conditions.

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel. Elle rappelle que :

  • l’absence d’écrit mentionnant la durée du travail et sa répartition fait présumer que l’emploi est à temps complet ;
  • il incombe à l’employeur qui conteste cette présomption de rapporter la preuve, d’une part, de la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle convenue ; et d’autre part, que le salarié n’était pas placé dans l’impossibilité de prévoir à quel moment il devait travailler et qu’il n’avait pas à se tenir constamment à la disposition de l’employeur ;
  • cette exigence légale d’un écrit s’applique non seulement au contrat initial mais aussi à ses avenants modificatifs de la durée du travail ou de sa répartition.

Note : Cette décision s’inscrit dans la lignée des arrêts précédemment rendus par la Cour de cassation sur le sujet.

La Cour de cassation a jugé notamment par un arrêt du 3 juillet 2019 que lorsque le contrat de travail à temps partiel ne mentionne pas la durée hebdomadaire ou mensuelle de travail et ne répond pas aux exigences légales, les juges ne peuvent pas écarter la présomption de travail à temps complet qui en résulte sans rechercher si l’employeur justifie de la durée de travail exacte convenue (Cass. soc., 3 juillet 2019, n° 17-15.884).

Jurisprudence – Relations collectives

Rappel : Les dispositions des conventions et accords collectifs doivent être interprétées strictement.
À l’occasion de cette affaire portant sur l’interprétation des dispositions de la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie, la Cour de cassation rappelle les règles d’interprétation des dispositions conventionnelles lorsqu’elles ne sont pas suffisamment précises.

Cass. soc., 8 février 2023, n° 21-16.805

Dans la présente affaire, un salarié engagé en qualité de cadre commercial, et relevant de la convention collective nationale (CCN) des ingénieurs et cadres de la métallurgie, a fait l’objet d’un licenciement pour insuffisance professionnelle pendant qu’il était en arrêt maladie.

Il a saisi le conseil de prud’hommes aux fins de contester son licenciement.

En l’espèce, l’article 16 de la CCN applicable prévoyait que :

« Les absences relevant de maladie ou d’accident, y compris les accidents du travail, et justifiées dès que possible par certificat médical pouvant donner lieu à contre-visite, à la demande de l’entreprise, ne constituent pas une rupture du contrat de travail.

A l’issue de la durée d’indemnisation à plein tarif, l’employeur pourra prendre acte de la rupture par force majeure du contrat de travail par nécessité de remplacement effectif. (…)

Au cours de l’absence de l’ingénieur ou cadre pour maladie ou accident, l’employeur peut rompre le contrat de travail en cas de licenciement collectif ou de suppression de poste, à charge pour lui de verser à l’ingénieur ou cadre licencié l’indemnité de préavis en tenant compte des dispositions des alinéas 4 et 5 du présent article, et de régler l’indemnité de congédiement, le cas échéant.

De même, l’employeur peut mettre à la retraite un ingénieur ou cadre absent pour maladie ou accident, en respectant les prescriptions de l’article 31. 

Lorsque le contrat se trouve rompu dans les conditions précitées, l’intéressé bénéficie d’un droit de priorité au réengagement qui sera satisfait dans la mesure du possible ».

Le salarié soutenait qu’en raison de la garantie d’emploi prévue par la CCN, il ne pouvait faire l’objet d’un licenciement pour insuffisance professionnelle alors qu’il se trouvait en arrêt maladie puisque la CCN ne prévoyait pas la possibilité de rompre le contrat de travail d’un salarié en arrêt maladie pour ce motif.

La Cour d’appel a statué en faveur du salarié et jugé que cet article offrait une véritable garantie d’emploi en réservant la possibilité de licencier un salarié absent pour cause de maladie aux seuls cas justifiés par un licenciement économique collectif, la suppression du poste occupé par le salarié malade, ou encore par la nécessité de procéder au remplacement du salarié absent à l’expiration de la durée d’indemnisation à plein tarif.

Elle en a déduit que le licenciement du salarié était abusif dès lors que celui-ci avait été prononcé non pas pour l’un des trois motifs visés par la convention collective, ni même pour un motif disciplinaire ou pour inaptitude physique, mais pour insuffisance professionnelle.

L’employeur s’est pourvu en cassation. Pour lui cet article ne lui interdisait pas de licencier le salarié, dont le contrat de travail est suspendu pour cause de maladie non professionnelle, pour un motif tiré de son insuffisance professionnelle.

Pour trancher le litige, la Cour de cassation rappelle qu’ « une convention collective, si elle manque de clarté, doit être interprétée comme la loi, c’est-à-dire d’abord en respectant la lettre du texte, ensuite en tenant compte d’un éventuel texte législatif ayant le même objet et, en dernier recours, en utilisant la méthode téléologique consistant à rechercher l’objectif social du texte ».

Elle retient que les dispositions conventionnelles n’interdisent pas le licenciement du salarié pendant la suspension de son contrat de travail pour maladie pour d’autres causes que la maladie et fixent les conditions d’attribution de l’indemnité de préavis en l’étendant pour certains licenciements spécifiques.

En conséquence, la Cour d’appel ne pouvait pas interpréter la convention collective comme limitant aux trois motifs susvisés, les possibilités de licenciement d’un salarié en arrêt maladie.

Note : Dans cet arrêt, la Cour de cassation rappelle la méthode d’interprétation d’une convention collective lorsqu’elle manque de clarté. Il s’agit d’une jurisprudence constante rappelée à plusieurs reprises par la Cour de cassation, notamment dans un arrêt du 14 décembre 2022 (Cass. soc., 14 décembre 2022, n° 21-15.805 ; Voir actu-tendance n° 660).

Législation et réglementation

Pris en application de la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat dite « loi pouvoir d’achat », le décret du 14 février 2022 donne des précisions sur les modalités issues de cette loi en matière de négociation collective et d’épargne salariale.

Précisions sur la procédure dématérialisée de rédaction des accords d’intéressement

Pour rappel, les Urssaf en collaboration avec le ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance et le ministère du Travail ont mis en place une plateforme d’aide à la rédaction et à la conclusion des accords d’intéressement pour les entreprises accessible via le site :  https://www.mon-interessement.urssaf.fr.

Malgré la mise en place de cet outil, les accords d’intéressement déposés par les entreprises faisaient l’objet d’une procédure préalable de contrôle par l’Urssaf pour le bénéfice des exonérations sociales.

Dans un objectif de simplification, la loi pouvoir d’achat a créé la possibilité de rédiger un accord d’intéressement selon une procédure dématérialisée permettant de contrôler sa conformité aux textes en vigueur dès la rédaction. Cette mesure s’applique aux accords conclus à compter du 1er janvier 2023 (voir actu tendance n°656).

Le décret du 14 février 2023 précise qu’au moment du téléchargement de l’accord, un code d’authentification sera délivré pour l’accord afin de permettre son authentification. Une fois l’accord signé, l’entreprise n’aura plus qu’à le déposer sur la plateforme TéléAccords.

Les exonérations sociales et fiscales liées à l’intéressement seront réputées acquises lorsque l’accord déposé comportera ce code d’authentification.

Le décret prévoit expressément qu’aucune modification ne doit être apportée à l’accord après son téléchargement, sous peine de remise en cause des exonérations.

Assimilation du congé de paternité et d’accueil de l’enfant, le congé de deuil et les périodes de quarantaine, à une période de présence pour le calcul de la répartition de l’intéressement

Depuis l’entrée en vigueur de la loi Pouvoir d’achat, le congé de paternité et d’accueil de l’enfant est assimilé à une période de présence en cas de répartition de l’intéressement en fonction de la durée de présence dans l’entreprise.

Le décret étend la mesure aux cas de répartition de l’intéressement proportionnelle aux salaires.

Le décret assimile également à une période de présence, les périodes de mise en quarantaine liées à une situation d’état d’urgence sanitaire déclarée et le congé de deuil d’un enfant.

En outre, le texte fixe la durée maximale de la procédure d’extension pour les accords relatifs aux salaires lorsque le SMIC a connu deux augmentations au cours des douze derniers mois et complète les modalités d’élargissement et d’extension.

Le ministre chargé du Travail dispose alors, à compter de la réception de la demande d’extension, d’un délai de deux mois pour étendre les avenants salariaux.

Il précise enfin les critères permettant au ministre d’apprécier la faiblesse conventionnelle et de procéder le cas échéant à la fusion de branches professionnelles. 

À l’issue des négociations entre les partenaires sociaux sur le partage de la valeur, un projet d’accord national interprofessionnel (ANI) a été diffusé le 10 février 2023.

Le projet d’accord s’articule autour des cinq priorités suivantes :

  • Poursuivre le travail engagé sur les politiques de rémunérations et de valorisation du travail ;
  • Mettre en lumière le partage de la valeur au sein des entreprises et des branches professionnelles ;
  • Encourager le recours aux dispositifs de partage de la valeur pour faciliter leur généralisation ;
  • Faciliter le développement et la sécurisation de l’actionnariat salarié ;
  • Améliorer les dispositifs d’épargne salariale.

Sur le fond, le projet d’ANI prévoit :

La facilitation du développement de la participation dans les entreprises de moins de 50 salariés par la négociation collective

Les entreprises de 11 salariés ou plus, et de moins de 50 salariés remplissant les conditions suivantes, devront mettre en place, à partir du 1er janvier 2025, un dispositif légal de partage de la valeur (participation, intéressement, prime de partage de la valeur, abondement à un PEE, PEI ou PER) (article 7) :

  • constituées sous forme de société ;
  • ayant réalisé un bénéfice net fiscal positif au moins égal à 1 % du chiffre d’affaires pendant 3 années consécutives (soit les années 2022, 2023, 2024) ;
  • qui ne sont pas déjà couverts par un dispositif de partage de la valeur.

En outre, les entreprises de moins de 50 salariés pourraient mettre en place par décision unilatérale ou, par accord collectif, une formule dérogatoire de participation pouvant donner un résultat supérieur comme inférieur à celui de la formule de référence de la participation, dite « formule légale ». 

Les entreprises déjà couvertes par un accord de participation conclu au niveau de l’entreprise ne pourraient mettre en place une formule dérogatoire, sauf à négocier un nouvel accord.

Assouplissement des règles de franchissement du seuil de 50 salariés conduisant à la mise en place obligatoire de la participation

En principe, pour déclencher l’obligation de participation, les règles actuelles nécessitent que les effectifs de l’entreprise aient été supérieurs à 50 salariés chaque année sur une période de 5 ans consécutifs. Une variation de l’effectif sur une année remet donc le compte des années à zéro. Par ailleurs, la présence d’un accord d’intéressement préalable reporte de 3 ans la mise en place de la participation. 

Le projet d’accord prévoit la suppression de cette règle reportant l’obligation de participation en présence d’un accord d’intéressement.

Mesures concernant les entreprises de plus de 50 salariés

Dans les entreprises de 50 salariés et plus pourvues d’au moins un délégué syndical, les accords de participation ou d’intéressement devraient comporter une clause visant à prendre en compte les résultats de l’entreprise réalisés en France et présentant un caractère exceptionnel (article 9).

Ces modalités peuvent prendre deux formes : 

  • soit le versement automatique d’un supplément de participation ou d’intéressement dont les modalités (formule de calcul, temporalité, bénéficiaires, etc.) sont définies par accord ;
  • soit le renvoi à une nouvelle discussion sur le versement d’un dispositif de partage de la valeur (participation, intéressement, PPV, abondement au PEE ou au PER, etc.).

Les entreprises visées et déjà couvertes par un accord de participation et/ou d’intéressement au moment de l’entrée en vigueur du présent accord, devront ouvrir une négociation avant le 30 juin 2024 pour se conformer à ces dispositions.

Outre ces mesures, le projet d’ANI prévoit :

  • la possibilité de verser aux salariés des avances sur la participation (article 12) ;
  • une simplification des règles régissant la formule de calcul de l’intéressement pour qu’elle puisse intégrer un ou plusieurs objectifs sociaux ou environnementaux (article 15) ;
  • une simplification du forfait social en vue d’inciter la mise en place d’accords d’intéressement ou de participation et à encourager le versement de suppléments de participation et d’intéressement (article 11);
  • la mise en place d’un nouvel abondement unilatéral de l’employeur au PEE ou au PER déplafonné, à hauteur de la PPV ;
  • l’extension du bénéfice des instruments de partage de la valeur au plus grand nombre de salariés : permettre aux entreprises faisant largement appel à la sous-traitance d’inclure l’ensemble des salariés des entreprises concernées dans leurs dispositifs de partage de la valeur (article 17) ;
  • la simplification de la procédure de révision du contenu des plans interentreprises (article 19) ;
  • plusieurs mesures pour développer et sécuriser l’actionnariat salarié (augmentation du plafond global d’attribution d’actions gratuites, neutralité fiscale de l’apport d’actions à une société des salariés actionnaires etc…) (article 21 à 29).

Si le projet d’accord est signé par les partenaires sociaux, il devra être étendu par arrêté du ministère du Travail pour pouvoir s’appliquer de manière générale dans toutes les entreprises comprises dans son champ d’application.

En outre certaines mesures prévues par l’accord nécessiteront une loi ou des décrets d’application.