Vidéosurveillance : illicéité n’est pas irrecevabilité Vidéosurveillance : illicéité n’est pas irrecevabilité

Par un arrêt en date du 10 novembre 2021 (n°20-12.263), la chambre sociale de la Cour de cassation est venue rappeler les conditions de licéité d’un dispositif de vidéosurveillance tout en confirmant la possibilité pour l’employeur de se prévaloir, dans certains cas, de la recevabilité d’images obtenues grâce à un dispositif qui serait illicite.   
Chloé Bouchez et Cristina Gomes Oliveira, avocates associée et collaboratrice au sein du cabinet actance reviennent sur cet arrêt.

Rappel des faits et de la procédure

Une salariée, engagée en qualité de caissière au sein d’une pharmacie située à Mayotte en 2003 a été licenciée en juillet 2016 en raison de plusieurs erreurs de caisse révélées notamment par les extraits vidéo de plusieurs caméras de surveillance.

L’ancienne salariée a par la suite saisi le tribunal du travail de Mamoudzou d’une contestation du bien-fondé de son licenciement en invoquant l’illicéité des extraits du système de vidéosurveillance.

Par un arrêt en date du 14 mai 2019, la Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion a confirmé le jugement rendu en 1ère instance en considérant que l’ancienne salariée ne pouvait revendiquer l’illicéité de ce dispositif de vidéosurveillance dès lors que, d’une part, la loi autorisait la mise en place d’un tel dispositif dans les lieux ouverts au public afin d’assurer la sécurité des biens et des personnes et, d’autre part, les salariés en avaient bel et bien été informés par une note de service en date du 27 novembre 2015.  

L’ancienne salariée a alors formé un pourvoi en cassation en insistant notamment sur le fait que 1) les salariés avaient été informés, postérieurement et non préalablement à sa mise en place, par une note de service insuffisamment détaillée et 2) la non-consultation des représentants du personnel.

L’employeur défendait quant à lui la licéité de ce dispositif en arguant notamment du fait que les salariés en avaient été informés et qu’il s’agissait, non pas d’un dispositif de vidéosurveillance destiné ainsi à contrôler l’activité des salariés mais d’un dispositif de vidéoprotection (dispositif de surveillance mis en place dans les lieux ouverts au public aux fins de prévention d’une atteinte aux biens et personnes) qui échappait ainsi à l’application de certaines règles de la loi dite « Informatique et Libertés » ainsi qu’à l’obligation de consultation préalable des représentants du personnel. 

N’étant pas de cet avis, la Cour de cassation a cassé l’arrêt rendu par la Cour d’appel en confirmant clairement que dès lors que le dispositif de vidéosurveillance « permettait également de contrôler et de surveiller l’activité des salariés et avait été utilisé par l’employeur afin de recueillir et d’exploiter des informations concernant personnellement la salariée (…) l’employeur aurait dû informer le salarié et consulter le comité d’entreprise sur l’utilisation de ce dispositif à cette fin (…) ».

En revanche, dans la droite ligne d’une jurisprudence récente, les Hauts magistrats ont une nouvelle fois ouvert la voie à la recevabilité d’un moyen de preuve pourtant illicite.

Un rappel classique des conditions de licéité d’un dispositif permettant, même indirectement, de contrôler l’activité des salariés au sein des locaux de l’entreprise

Pour mémoire, avant l’entrée en vigueur du RGPD (règlement général sur la protection des données) non-applicable en l’espèce, l’employeur désireux d’installer un système de vidéosurveillance dans les locaux de travail (soit un système destiné en tout ou partie à contrôler l’activité des salariés) devait respecter trois formalités préalablement à sa mise en place :

  • Déclarer le dispositif à la CNIL ;
  • Informer les salariés en prenant soin de préciser sa finalité ainsi que les autres éléments prévus alors par l’article 32 de la loi « Informatique & Libertés » du 6 janvier 1978 ;
  • Informer et consulter les représentants du personnel.

L’employeur devait également s’assurer que cette surveillance n’était pas disproportionnée.

Pour la Cour de cassation, et conformément à l’avis de l’avocat général, l’ensemble des exigences alors applicables aux faits de l’espèce n’avaient pas été respectées par l’employeur.

En l’espèce, les images récoltées ayant conduit en pratique l’employeur à sanctionner la salariée en question, ce dernier aurait dû se soumettre aux conditions de validité des dispositifs de vidéosurveillance (information préalable des salariés et information préalable de la déléguée du personnel).

Les Hauts magistrats confirment ainsi la nécessité de s’intéresser à la finalité réelle et non simplement officielle du dispositif de vidéosurveillance (Cass. Soc., 20 novembre 1991, n° 88-43.120 ; Cass. Soc., 7 juin 2006, n°04-43.866 ; 10 janvier 2012, n°10-23.482 ; Cass. Soc., 11 décembre 2019, 18-11.792).

Sur ce point, il est également intéressant de constater que si l’arrêt a été rendu sur le terrain des règles applicables avant l’entrée en vigueur du RGPD (règlement général sur la protection des données), le fait que la Cour de cassation fasse référence à l’ensemble des éléments d’information devant alors être fournis aux salariés en application de l’ancien article 32 de la loi « Informatique & Libertés » laisse présager un risque que les juges viennent à l’avenir à sanctionner le non-respect des dispositions du nouvel article 104 de cette même loi (exigeant notamment que le salarié soit informé de l’identité et des coordonnées du délégué à la protection des données (DPO) éventuellement désigné) par l’illicéité du dispositif de contrôle de l’activité des salariés.

Au regard du présent arrêt, il est évident que la Cour de cassation reste attachée au principe selon lequel les salariés doivent être informés et les représentants du personnel consultés préalablement à la mise en place d’un dispositif dont la finalité directe ou indirecte est de surveiller l’activité des salariés, et ce peu important que les locaux soient aussi des locaux ouverts au public.  

Les Hauts magistrats confirment néanmoins la jurisprudence récente admettant, sous certaines conditions, la recevabilité d’un moyen de preuve illicite 

Cet arrêt a également été l’occasion pour les Hauts magistrats de confirmer une jurisprudence plus récente de la chambre sociale[1] ainsi que deux décisions de la CEDH[2] consistant à admettre qu’une preuve jugée illicite puisse néanmoins être déclarée recevable.

En effet, la Cour de cassation reproche aux juges du fond de ne pas avoir cherché à savoir si le moyen de preuve jugé illicite pouvait néanmoins être déclaré recevable en rappelant que : « 6. L’illicéité d’un moyen de preuve, au regard des dispositions susvisées, n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi. ».

Les juges du fond doivent ainsi se livrer à ce contrôle, dit de la proportionnalité, lorsqu’une preuve est jugée illicite.

Force est de constater que pour éviter tout débat sur le terrain notamment de la loyauté de la preuve, il reste préférable de s’assurer de la validité des dispositifs de vidéosurveillance mis en place.

[1] Exemple : Cass. Soc., 30 septembre 2020, n°19-12.058 ; Cass. Soc., 25 novembre 2020, n°17-19.523 :

[2] Affaires « Barbulescu c. Roumanie » du 5 septembre 2017, n°61496/08 et « López Ribalda et autres c. Espagne», 1874/13 et 8567/13

Chloé Bouchez
Avocate associée | +33 (0)144 94 96 00 | societe@actanceavocats.com | + posts

Chloé BOUCHEZ a exercé 1 an au sein du cabinet Barthélémy & Associés et a participé à la création du cabinet Actance. Elle est titulaire du Master II en Droit social de l’Université Panthéon-Assas et du Certificat de spécialisation en droit du travail. Elle accompagne les groupes et entreprises de dimension nationale et internationale sur toutes les problématiques liées aux relations collectives et individuelles du travail, et anime régulièrement des formations. Elle est amenée à travailler en Français et en Anglais. Elle dispose également d’une forte expérience dans la gestion des pré-contentieux et des contentieux à risque.

Cristina Gomes Oliveira
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