Suivi médical au travail : ce qui a changé au 31 mars 2022 Suivi médical au travail : ce qui a changé au 31 mars 2022
La loi du 2 août 2021 « pour renforcer la prévention en santé au travail », dite « loi Santé », est entrée en vigueur le 31 mars dernier. Elle fait suite à l’accord national interprofessionnel (ANI) « pour une prévention renforcée et une offre renouvelée en matière de santé au travail et conditions de travail » conclu par les partenaires sociaux le 9 décembre 2020, que la proposition de loi déposée par les parlementaires le 23 décembre 2020 s’est employée à transcrire fidèlement.
La loi Santé s’articule autour de quatre grands axes : « renforcer la prévention au sein des entreprises et décloisonner la santé publique et la santé au travail », « améliorer la qualité du service rendu par les services de santé au travail », « renforcer l’accompagnement de certains publics, notamment vulnérables, et lutter contre la désinsertion professionnelle », et « réorganiser la gouvernance de la santé au travail ».
Elle contient ainsi plusieurs dispositions relatives au suivi médical au travail (précisées par un Questions-Réponses du Ministère du travail du 26 avril 2022), sur lesquelles reviennent Gladys Aho et Morgane Louzeau-Chamas, avocates du Cabinet Actance.
Modification des modalités de retour en entreprise des salariés en arrêt de travail
Possibilité pour les salariés de bénéficier d’une visite de préreprise plus précoce (au-delà de 30 jours d’arrêt de travail)
La visite de préreprise intervient durant l’arrêt de travail du salarié.
Elle vise à préparer la reprise du travail et est menée par le médecin du travail, qui peut recommander des aménagements et adaptations du poste de travail, formuler des préconisations de reclassement, ou recommander l’organisation de formations professionnelles en vue de faciliter le reclassement du travailleur ou sa réorientation professionnelle (C. trav., art. R.4624-30).
En matière de visite de préreprise, la loi Santé et ses décrets d’application ont apporté les modifications suivantes :
- La visite de préreprise peut désormais être organisée dès le 31ème jour d’arrêt de travail (contre 3 mois précédemment), étant précisé que la durée de l’arrêt de travail peut être continue ou discontinue (Questions-Réponses « sur les mesures relatives à la prévention de la désinsertion professionnelle issues de la loi du 2 août 2021 » du Ministère du travail du 26 avril 2022) ;
- La visite de préreprise devient facultative (article R.4624-29 et suivants du Code du travail) ;
- Le médecin du travail peut désormais être à l’initiative de cette visite (article L.4624-2-4 du Code du travail).
La loi prévoit ainsi qu’en cas d’absence au travail justifiée par une incapacité résultant de maladie ou d’accident d’une durée supérieure à 30 jours, le travailleur peut bénéficier d’un examen de préreprise par le médecin du travail organisé à l’initiative du travailleur, du médecin traitant, des services médicaux de l’assurance maladie ou du médecin du travail, dès lors que le retour du travailleur à son poste est anticipé.
Il est à noter que l’employeur ne peut pas demander la tenue de cette visite. Il doit, en revanche, informer le salarié de la possibilité d’en solliciter l’organisation (C. trav., art. L.4624-2-4).
Auparavant, la visite médicale de préreprise devait être organisée au bénéfice des salariés dont l’arrêt de travail était supérieur à trois mois. Cette disposition reste applicable aux arrêts de travail antérieurs au 1er avril 2022, puisqu’en la matière, les nouvelles dispositions du Code du travail ne sont applicables qu’aux arrêts de travail commençant après le 31 mars 2022 (article 6, 3° du décret n° 2022-372 du 16 mars 2022).
Une visite de reprise plus tardive en cas de maladie ou d’accident non professionnel (à partir de 60 jours d’absence)
La visite médicale de reprise, réalisée par le médecin du travail, permet d’apprécier si le salarié est en mesure de reprendre son poste de travail.
Cet examen est obligatoire, même si une visite de préreprise a eu lieu (Cass. soc., 12 nov. 1997, n°95-40.632).
Le salarié bénéficie d’une visite de reprise à la suite d’une absence pour cause de maladie professionnelle (quelle qu’en soit la durée), d’un congé de maternité, d’une absence d’au moins 30 jours pour cause d’accident du travail, ou d’une absence pour cause de maladie ou d’accident non professionnel.
La nouveauté de la Loi Santé concerne les absences pour cause de maladie ou accident non professionnel (C. trav., art. R.4624-31, modifié par l’article 5 du décret n°2022-372 du 16 mars 2022) : depuis le 31 mars, ce n’est qu’à partir de 60 jours d’absence qu’il faut organiser la visite de reprise (jusqu’alors, la visite s’imposait dès 30 jours d’absence).
Ces nouvelles dispositions s’appliquent aux arrêts de travail commençant après le 31 mars 2022 (article 6, 3°, du décret n° 2022-372 du 16 mars 2022).
Création de nouvelles entrevues de nature médicale
Le rendez-vous de liaison
La loi Santé a créé la possibilité d’organiser un rendez-vous de liaison entre le salarié et l’employeur, associant le service de prévention et de santé au travail, lorsque l’arrêt de travail du salarié (d’origine professionnelle ou non) est supérieur à 30 jours (C. trav., art. L.1226-1-3 et D.1226-8-1). Le Questions-Réponses publié par le Ministère du travail le 26 avril 2022 précise que la durée de l’arrêt prise en compte peut être continue ou discontinue.
L’employeur doit informer le salarié du fait qu’il peut solliciter ce rendez-vous.
Le rendez-vous de liaison a pour objet d’informer le salarié qu’il peut bénéficier (C. trav., art. L.1226-1-3) :
– D’actions de prévention de la désinsertion professionnelle ;
– D’une visite de préreprise ;
– De mesures individuelles d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail ou de mesures d’aménagement du temps de travail.
Le rendez-vous de liaison est organisé à l’initiative de l’employeur ou du salarié, qui reste d’ailleurs libre de refuser, le rendez-vous étant facultatif. Aucune conséquence ne peut être tirée du refus par le salarié de se rendre à ce rendez-vous (C. trav., art. L.1226-1-3).
Selon le Questions-Réponses du Ministère du travail du 26 avril 2022, le salarié qui sollicite ou accepte le rendez-vous de liaison doit se voir proposer une date dans les 15 jours par l’employeur. Le service de prévention et de santé au travail est prévenu par l’employeur huit jours avant la tenue du rendez-vous de liaison (lequel peut se tenir en présentiel ou à distance). Peuvent assister à ce rendez-vous, si la situation du salarié le nécessite, une personne représentant le service de prévention et de santé au travail (membre de l’équipe pluridisciplinaire ou membre de la cellule « prévention de la désinsertion professionnelle », mise en place depuis le 31 mars 2022) mais également le référent handicap de l’entreprise, sous réserve pour ce dernier de l’accord du salarié.
La visite médicale « de mi-carrière »
La loi Santé a également instauré une visite médicale de mi-carrière, qui doit être organisée à une échéance déterminée par accord de branche ou, à défaut, durant l’année civile du quarante-cinquième anniversaire du salarié (C. trav., art. L.4624-2-2).
Cet examen médical pourra être anticipé et organisé conjointement avec une autre visite médicale lorsque le salarié devra être examiné par le médecin du travail deux ans avant l’échéance prévue par le Code du travail. Si la visite médicale « de mi-carrière » est couplée à une autre visite médicale prévue au titre du suivi individuel des salariés, il devra être indiqué dans l’attestation de visite (unique pour les deux visites) que la visite médicale « de mi-carrière » a été réalisée, et que le salarié a bien été sensibilisé aux enjeux du vieillissement au travail et aux risques de désinsertion professionnelle (Questions-Réponses du Ministère du travail du 26 avril 2022).
Selon le Questions-Réponses du Ministère du travail du 26 avril 2022, la visite médicale « de mi-carrière » peut être organisée à l’initiative du service de prévention et de santé au travail, de l’employeur, du salarié, et peut se tenir en téléconsultation. Elle doit faire l’objet d’une attestation de visite.
Cette visite médicale de mi-carrière vise à :
– Établir un état des lieux de l’adéquation entre le poste de travail et l’état de santé du salarié, à date, en tenant compte des expositions à des facteurs de risques professionnels auxquelles il a été soumis ;
– Évaluer les risques de désinsertion professionnelle, en prenant en compte l’évolution des capacités du salarié en fonction de son parcours professionnel, de son âge et de son état de santé ;
– Sensibiliser le salarié aux enjeux du vieillissement au travail et à la prévention des risques professionnels.
Cette visite médicale pourra être menée par un infirmier de santé au travail exerçant en pratique avancée (qui aura la possibilité, s’il l’estime nécessaire, d’orienter sans délai le salarié vers le médecin du travail), ou par le médecin du travail, qui sera libre de proposer au salarié, par écrit, des mesures individuelles d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail ou des mesures d’aménagement du temps de travail (C. trav., art. L.4624-2-2).
Le Questions-Réponses du Ministère du travail du 26 avril 2022 est venu préciser que le référent handicap doit être informé par l’employeur de l’organisation de cette visite et peut y assister sous réserve de l’acceptation du salarié. Il ne pourra pas assister à l’entretien médical et à l’examen médical du salarié mais seulement aux échanges concernant les éventuelles mesures individuelles d’aménagement, d’adaptation ou de transformation de poste et/ou d’horaire.
La visite médicale « post exposition »
Jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi Santé, en application de l’article L.4624-2-1 du Code du travail, les travailleurs bénéficiant ou ayant bénéficié d’un suivi individuel renforcé de leur état de santé et ayant été exposés à un ou plusieurs des risques mentionnés au I de l’article R.4624-23 (amiante, rayonnements ionisants, risque hyperbare, risque de chute de hauteur…) devaient être examinés par le médecin du travail au cours d’une visite médicale, avant leur départ en retraite.
Désormais, la surveillance médicale de ces salariés peut être mise en place juste après l’exposition professionnelle au risque et plus uniquement lors du départ ou de la mise à la retraite.
La loi Santé a en effet intégré, à l’article L.4624-2-1 précité, une visite médicale devant avoir lieu « dans les meilleurs délais après la cessation de leur exposition à des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité ».
Ces dispositions s’appliquent aux travailleurs dont la cessation d’exposition a été constatée à compter du 31 mars 2022 (article 6, 2° du décret n° 2022-372 du 16 mars 2022).
Initiative et organisation de la visite
Le Code du travail impose à l’employeur d’informer son service de santé au travail dès qu’il a connaissance de la cessation de l’exposition d’un salarié à des risques particuliers pour sa santé ou sa sécurité justifiant un suivi individuel renforcé, et d’aviser sans délai le salarié de la transmission de cette information (C. trav., art. R.4624-28-2, modifié par l’article 3 du décret n°2022-372 du 16 mars 2022).
En cas de carence de l’employeur, si le salarié estime devoir passer cette visite « post-exposition », il peut, durant le mois précédant la date de la cessation de l’exposition et jusqu’à six mois après cette cessation, demander à bénéficier de la visite directement auprès de son service de santé au travail. Dans ce cas, il doit informer l’employeur de sa démarche (C. trav., art. R.4624-28-2, modifié par l’article 3 du décret n°2022-372 du 16 mars 2022).
Dans tous les cas, le service de santé au travail déterminera si le travailleur remplit les conditions pour bénéficier de cette visite, et procèdera à son organisation s’il estime qu’elles sont satisfaites.
But de la visite médicale « post-exposition »
La visite médicale « post-exposition » vise à établir une traçabilité et un état des lieux, à date, des expositions à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels auxquelles a été soumis le salarié.
En cas de constat d’une exposition du salarié à certains risques dangereux, notamment chimiques, le médecin du travail est tenu de mettre en place une surveillance post-exposition, en lien avec le médecin traitant et le médecin conseil des organismes de sécurité sociale, laquelle tiendra compte de la nature du risque, de l’état de santé et de l’âge du salarié. À cette fin, le médecin du travail pourra transmettre au médecin traitant, s’il le juge nécessaire et avec l’accord du salarié, le document dressant l’état des lieux des expositions aux facteurs de risques professionnels du salarié, qu’il lui a remis et qu’il a versé au dossier à l’issue de la visite médicale (C. trav., art. L4624-2-1 et R.4624-28-3).
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Au-delà de la modification des modalités de certaines visites médicales et de la création de nouvelles entrevues médicales, la loi Santé permet également, pour le suivi individuel du salarié, que les professionnels de santé aient recours à des pratiques médicales ou des soins à distance utilisant les technologies de l’information et de la communication. Dans ce cas, le consentement du salarié devra être recueilli préalablement et la confidentialité des échanges devra être garantie (C. trav., art. L.4624-1).
En outre, la loi Santé autorise désormais le médecin du travail à accéder au dossier médical partagé du salarié (destiné à contenir l’historique des soins et traitements des 12 derniers mois et toute autre information médicale ou utile au suivi du patient) et de l’alimenter, sous réserve du consentement exprès du salarié et de son information préalable quant aux possibilités de restreindre l’accès au contenu de son dossier (C. santé publique., art. L.1111-17, IV).
En bref :
Le vieillissement de la population active, l’allongement des carrières et l’augmentation des maladies chroniques font de la prévention de la désinsertion professionnelle et du maintien en emploi un enjeu majeur pour les entreprises.
L’objectif du législateur est de mettre en place différentes mesures pour identifier le plus en amont possible ce risque de désinsertion professionnelle et de mettre en place des dispositifs qui permettront d’éviter la désinsertion du travailleur et de le maintenir en emploi ou de favoriser son retour à l’emploi.
En bref :
- Possibilité de bénéficier d’ une visite de préreprise plus précoce , dès le 31ème jour d’arrêt de travail (contre 3 mois précédemment) – Cette visite est facultative ;
- Une visite de reprise plus tardive en cas de maladie ou d’accident non professionnel (à partir de 60 jours d’absence) ;
- Création de nouvelles entrevues de nature médicale :
- Le rendez-vous de liaison (facultatif pour le salarié) : entre le salarié et l’employeur, en associant le service de prévention et de santé au travail, lorsque l’arrêt de travail est supérieur à 30 jours ;
- La visite médicale « de mi-carrière »: échéance déterminée par accord de branche ou, à défaut, durant l’année civile du 45ème anniversaire du salarié ;
- La visite médicale « post exposition » : dans les meilleurs délais après la cessation de l’exposition à des risques particuliers pour la santé ou la sécurité.