Ruptures conventionnelles : risque de prise en compte dans le décompte des postes supprimés dans le cadre d’un PSE Ruptures conventionnelles : risque de prise en compte dans le décompte des postes supprimés dans le cadre d’un PSE

Par un arrêt en date du 19 janvier 2022 (n°20-11.962), la Chambre sociale de la Cour de cassation rappelle que les ruptures conventionnelles ayant une cause économique sont susceptibles d’être prises en compte pour déterminer la procédure d’information et de consultation des représentants du personnel applicable, ainsi que les obligations de l’employeur en matière de plan de sauvegarde de l’emploi.
Gladys Aho et Mathias Joste, avocats au sein du cabinet actance, reviennent sur cet arrêt.

Les faits

Un salarié, engagé en qualité de journaliste au sein d’une société de presse en 2006, a été licencié pour motif économique. Ce licenciement pour motif économique est intervenu dans un contexte de suppressions d’emplois, précédées par plusieurs ruptures conventionnelles individuelles.

Contestant la rupture de son contrat de travail, le salarié a décidé d’introduire une action en justice afin que son licenciement soit reconnu comme étant nul. Ce salarié considérait en effet que son employeur aurait dû respecter la procédure prévue en cas de mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE).

Cette procédure implique notamment des modalités d’information/consultation des représentants du personnel particulières ainsi que la mise en place de mesures sociales d’accompagnement dont l’objet est d’éviter les licenciements ou d’en limiter le nombre.

Le salarié faisait valoir que les ruptures conventionnelles intervenues au cours des deux mois précédant les suppressions de postes s’étaient inscrites dans le cadre du projet de réorganisation de l’entreprise pour motif économique et qu’elles auraient ainsi dû être comptabilisées par l’employeur pour déterminer la procédure applicable. Selon le salarié, l’employeur était tenu de respecter la procédure de PSE au regard du nombre combiné de suppressions de postes et de ruptures conventionnelles du contrat de travail.

La Cour d’appel de Versailles, dans une décision du 23 octobre 2019, a rejeté son argumentaire. Elle a constaté que les 13 emplois supprimés ne devaient pas s’ajouter aux 11 ruptures conventionnelles, lesquelles résultaient de l’application de la clause de cession dont bénéficient les journalistes en vertu de l’article L.7112-5 du Code du Travail (leur permettant de voir rompre leur contrat de travail en cas de cession de l’entreprise de presse). Il en résultait, selon la Cour d’appel, que l’employeur n’était pas tenu de respecter la procédure de PSE.

La Cour de cassation a cependant cassé l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles en considérant que « lorsqu’elles ont une cause économique et s’inscrivent dans un processus de réduction des effectifs dont elles constituent la ou l’une des modalités, les ruptures conventionnelles doivent être prises en compte pour déterminer la procédure d’information et de consultation des représentants du personnel applicable ainsi que les obligations de l’employeur en matière de plan de sauvegarde de l’emploi ».

Un arrêt confirmatif visant à éviter le contournement des règles du licenciement économique collectif par l’employeur

En principe, l’employeur n’a pas à tenir compte des ruptures conventionnelles individuelles dans le cadre de la procédure de licenciement pour motif économique. En effet, en application de l’article L.1233-3 du Code du travail, l’ensemble des dispositions relatives au licenciement pour motif économique ne s’applique pas aux ruptures conventionnelles.

Cependant, le Ministère du travail a eu l’occasion de préciser, dans une instruction du 23 mars 2010, que la rupture conventionnelle ne doit pas être utilisée par l’employeur comme un moyen de contourner les règles du licenciement économique collectif en privant notamment de ce fait les salariés des garanties attachées aux plans de sauvegarde de l’emploi.

Dans la continuité de cette instruction, la Cour de cassation a été amenée à juger que dès lors que les ruptures conventionnelles résultent d’un processus de réduction des effectifs pour motif économique, elles sont prises en compte pour déterminer la procédure d’information et de consultation des représentants du personnel applicable, ainsi que les obligations de l’employeur en matière de plan de sauvegarde de l’emploi (Cass. soc., 9 mars 2011, n°10-11.581), étant précisé que seules les ruptures conventionnelles homologuées et effectives sont prises en compte (Cass. soc., 29 oct. 2013, n°12-15.382 et 12-27.393).

La spécificité de l’arrêt du 9 mars 2011 tient au fait que c’est le cadre de l’Unité économique et sociale (UES) qui a été retenu pour apprécier la nécessité d’établir un plan de sauvegarde de l’emploi, la décision de licencier ayant été prise au niveau de l’UES. C’est donc l’ensemble des licenciements et des ruptures conventionnelles économiques résultant d’un processus de réduction des effectifs conclus dans les différentes entités constituant l’UES qui a été pris en compte afin de déterminer si un PSE devait être mis en place.

En l’absence d’Unité économique et sociale (ou si la décision de licencier n’a pas été prise au niveau de l’UES mais au niveau de la seule entité concernée), c’est au niveau de l’entreprise (ce qui englobe l’ensemble de ses établissements) que doit être vérifié le nombre de licenciements et de ruptures conventionnelles justifiées par un motif économique qui s’inscrivent dans un processus de réduction des effectifs imposant la mise en œuvre d’un PSE.

La jurisprudence de la Cour de cassation qui impose de prendre en compte les ruptures conventionnelles ayant une cause économique et s’inscrivant dans un processus de réduction des effectifs pour déterminer si un PSE doit être mis en place est aujourd’hui confirmée par l’arrêt du 19 janvier 2022. Ainsi, le recours aux ruptures conventionnelles individuelles ne saurait permettre à l’employeur de contourner les règles du licenciement économique collectif et d’élaboration du plan de sauvegarde de l’emploi.

Pour autant, la conclusion de ruptures conventionnelles individuelles n’est aucunement prohibée en période de suppression de postes.

En effet, pour déterminer si un PSE est obligatoire, l’entreprise est susceptible de prendre en compte les ruptures conventionnelles individuelles résultant d’une cause économique et s’inscrivant dans un projet de réduction des effectifs. Cela implique que les ruptures conventionnelles qui seraient conclues pour des raisons autres qu’économiques, au moment même où l’employeur s’engagerait dans un processus de réduction des effectifs, ne devraient pas être intégrées dans le décompte des postes supprimés.

Sur la sanction applicable en cas de non-respect de la procédure de licenciement économique collectif

Si la conclusion de ruptures conventionnelles est considérée comme un détournement de la procédure de PSE, l’employeur prend le risque que les salariés licenciés pour motif économique sollicitent la nullité de leur licenciement, en application de l’article L.1235-10 du Code du travail, qui trouve à s’appliquer en l’absence de mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi.

En l’occurrence, dans l’arrêt du 19 janvier 2022, la Cour de cassation a confirmé la nullité du licenciement du salarié licencié en méconnaissance des dispositions applicables en cas de mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi.

Outre le risque de demande de nullité, par les salariés concernés, des licenciements économiques prononcés, l’employeur pourrait également devoir faire face à une demande de dommages et intérêts des syndicats et/ou du Comité social et économique pour non-respect de la procédure de licenciement, laquelle peut être valablement formulée (Cass. soc., 9 mars 2011, n°10-11.581).

En revanche, il ne semble pas que les salariés ayant signé une rupture conventionnelle de leur contrat de travail pour un motif économique puissent en obtenir la nullité en cas de non-respect de la procédure prévue en cas de mise en œuvre d’un PSE. En effet, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que « l’intégration des ruptures conventionnelles dans la procédure de licenciement économique ne remet cependant pas en cause leur qualification et leur régime juridique propres » (Communiqué de la Cour de cassation joint à l’arrêt du 9 mars 2011).

La nullité de la rupture conventionnelle ne pourrait être prononcée qu’en cas de dissimulation par l’employeur de l’existence, à la date de conclusion de la convention de rupture conventionnelle, d’un plan de sauvegarde de l’emploi en cours de préparation, prévoyant la suppression du poste du salarié et l’octroi de mesures plus favorables, laquelle constitue un dol de nature à vicier le consentement (Cass. soc., 6 janvier 2021, n°19-18.549).

En définitive, il est recommandé d’être en mesure de démontrer que les ruptures conventionnelles n’ont pas de cause économique, en cas de recours à la rupture conventionnelle individuelle dans un contexte économique dégradé occasionnant un processus de réduction des effectifs.

Mathias Joste
Avocat Counsel | +33 (0)144 94 96 00 | societe@actanceavocats.com | + posts

Diplômé de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne au sein de laquelle il a également été chargé de travaux dirigés en relations individuelles et collectives de travail, Mathias Joste a intégré le Cabinet Actance en 2015 après une première expérience au sein du Cabinet Dupiré et Associés. Mathias accompagne des entreprises de tailles variées dans la gestion quotidienne de leurs problématiques individuelles et collectives liées à l’ensemble du droit social. Il intervient plus particulièrement à l’occasion d’opérations de réorganisations : notamment restructurations, transferts, procédures collectives.