Lanceur d’alerte : une réforme en profondeur Lanceur d’alerte : une réforme en profondeur

Le régime du lanceur d’alerte initialement introduit par la loi « Sapin II » (loi 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique) a été réformé en profondeur par la loi 2022-401 du 21 mars 2022 dont les dispositions, entrées en vigueur le 1er septembre 2022, viennent d’être complétées par le décret 2022-1284 du 3 octobre 2022 (JO du 4).
Ces dispositions immédiatement applicables conduisent les entreprises de 50 salariés et plus à revoir leurs procédures internes de recueil et de traitement des signalements émis par les lanceurs d’alerte, afin de les rendre conformes notamment en ce qui concerne les délais de traitement. Ces textes élargissent le champ des bénéficiaires de la protection et facilitent les signalements externes, auprès des autorités définies par le décret, en accordant un rôle particulier au nouvel adjoint au Défenseur des droits.
Eliane Chateauvieux, avocate associée, et Iris Ackermann, avocate, du cabinet actance avocats mettent en lumière quelques points essentiels de cette réforme.

Une protection élargie

Par la loi du 21 mars 2022, la définition du lanceur d’alerte a considérablement été élargie.

Le législateur a  abandonné la notion d’action « désintéressée » au profit d’une exigence d’absence de « contrepartie financière directe » (ce qui facilite par exemple un signalement par le lanceur d’alerte mettant en cause son responsable hiérarchique) et permet la dénonciation de « violations », de « tentatives de dissimulation d’une violation », de « menaces » ou de « préjudices pour l’intérêt général » en n’exigeant plus un caractère de gravité. L’authenticité de l’information, objet de l’alerte,  est également un brin malmenée.

En effet, alors que le dispositif issu de la loi Sapin II permettait d’assurer une certaine fiabilité de la source en exigeant que l’individu qui procède au signalement révèle ou signale des faits « dont il a eu personnellement connaissance » (art. 6, loi 2016-1691 du 9 décembre 2016), la réforme allège cette exigence. Il est désormais de principe que « lorsque les informations n’ont pas été obtenues dans le cadre des activités professionnelles mentionnées au I de l’article 8, le lanceur d’alerte doit en avoir eu personnellement connaissance.». La voie est ainsi ouverte à des signalements obtenus dans le cadre des activités professionnelles portant sur des faits (par exemple soupçonnés de constituer une discrimination) dont le lanceur d’alerte n’aurait pas personnellement eu connaissance mais qui lui auraient été rapportés par l’un de ses collègues de travail, voire une personne dont le contrat de travail a pris fin (lorsque les informations ont été obtenues dans le cadre de ce contrat), ou une personne qui s’est portée candidate à un emploi (lorsque les informations ont été obtenues dans le cadre de cette candidature). Le cadre des activités professionnelles peut vraisemblablement concerner l’exercice d’un contrat de travail ou d’un mandat de représentant du personnel.

Outre le lanceur d’alerte, la protection s’applique désormais également aux facilitateurs et aux personnes en lien avec le lanceur d’alerte.

Ainsi se trouvent élargis à la fois la définition du lanceur d’alerte, le champ des personnes protégées et l’origine des informations qui font l’objet du signalement.

La fin du système de signalement hiérarchisé

Jusqu’alors, le dispositif de signalement des alertes était graduel (art. 8 de la loi 2016-1691 du 9 décembre 2016). Pour bénéficier du statut protecteur du lanceur d’alerte, la personne devait procéder par étape. L’exercice d’un premier signalement en interne était le prérequis pour pouvoir, sous certaines conditions, émettre un signalement en externe.

Ce dispositif pouvant sembler dissuasif, la réforme permet au lanceur d’alerte de choisir d’émettre le signalement :

  1. auprès du canal interne à l’entité au sein de laquelle il veut dénoncer une violation du droit.
    L’article 8 de la loi fixe dorénavant la liste des personnes physiques qui, ayant obtenu dans le cadre de leurs activités professionnelles des informations sur des faits qui se sont produits ou sont très susceptibles de se produire dans cette entité, peuvent adresser un signalement en interne (figurent dans cette liste les membres ou anciens membres du personnel, les collaborateurs extérieurs ou occasionnels, les candidats à un emploi, les dirigeants, les actionnaires, …),
  2. auprès d’un canal externe c’est-à-dire auprès de l’une des autorités listées en annexe du décret du 3 octobre 2022 en fonction de leur domaine de compétence (marchés publics, protection de l’environnement, santé publique, relations individuelles et collectives de travail et conditions de travail, emploi et formation professionnelle, discriminations, …), ou auprès du Défenseur des droits, de l’autorité judiciaire ou une institution, un organe ou un organisme de l’Union européen compétent.

Chaque autorité désignée par le décret doit publier, sur son site internet, dans une section distincte, aisément identifiable et accessible, des informations sur l’existence de ses procédures internes de recueil et de traitement de signalement, les conditions et modalités pratiques pour bénéficier de la protection de lanceur d’alerte, la nature et le contenu des signalements dont elle peut être saisie au regard des compétences qui sont les siennes, les coordonnées postales, électroniques ou téléphoniques permettant d’adresser le signalement, le régime de recueil et de traitement des signalements, etc.

Ainsi, et contrairement à ce qui était prévu jusqu’alors, l’utilisation du canal externe n’est plus conditionné par l’existence d’un premier signalement en interne. Cette évolution notable risque de conduire à une forte augmentation du nombre de signalements formulés directement auprès des autorités désignées.

En revanche, la divulgation publique reste soumise à conditions. Elle ne peut intervenir que dans des situations particulières expressément prévues par la loi :

  • Après avoir effectué un signalement externe, précédé ou non d’un signalement interne, sans qu’aucune mesure appropriée ait été prise en réponse à ce signalement à l’expiration d’un certain délai,
  • En cas de danger grave et imminent,
  • Dans un cadre professionnel, en cas de danger imminent ou manifeste pour l’intérêt général notamment lorsqu’il existe une situation d’urgence ou un risque de préjudice irréversible,
  • Lorsque le signalement effectué auprès du canal externe fait encourir au lanceur d’alerte un risque de représailles ou qu’il ne permet pas de remédier efficacement à l’alerte en raison de circonstances particulières de l’affaire, notamment si des preuves peuvent être dissimulées ou détruites ou si l’auteur du signalement a des motifs sérieux de penser que l’autorité peut être en conflit d’intérêts, en collusion avec l’auteur des faits ou impliquée dans ces faits (art. 8, loi 2016-1691 modifiée par la loi 2022-401 du 21 mars 2022).

Il incombe aux entreprise de mettre en place leurs propres procédures internes dès lors que leur effectif atteint au moins 50 salariés à la clôture de deux exercices consécutifs.

La mise en place de procédure interne de recueil et de traitement des signalements 

Dans les entreprises répondant à la condition d’effectif ci-dessus, la mise en place d’une procédure de recueil des alertes – obligatoire depuis le 1er janvier 2018 – doit être mise à jour pour prendre en compte la réforme découlant de la loi du 21 mars 2022 et de son décret d’application du 3 octobre 2022, après consultation des instances de dialogue social (comité social et économique ou, selon le cas, conseil d’entreprise).

Cette procédure interne de recueil et de traitement des signalements doit être adaptée en fonction de la taille de l’entreprise. Le décret précise que ce dispositif doit permettre en interne à toute personne d’adresser un signalement, par écrit ou par oral, selon une procédure définie, de transmettre tout élément à sa disposition de nature à étayer le signalement et d’être informée par écrit de la bonne réception de son signalement dans le délai de 7 jours ouvrés puis de son traitement dans le délai de 3 mois, susceptible d’être porté à 6 mois dans certaines circonstances (art. 4, décret du 3 octobre 2022).

Le décret ouvre la possibilité à l’entreprise d’opter pour une externalisation du canal de réception des signalements. Le tiers, agissant pour le compte de l’entreprise, peut être une personne physique ou une entité de droit privé ou publique dotée ou non de la personnalité morale (art. 7, décret du 3 octobre 2022).

La procédure définie doit indiquer la ou les personnes ou le ou les services désignés par l’entité pour recueillir et traiter les signalement en précisant «  par leur positionnement ou leur statut, de la compétence, de l’autorité et des moyens suffisants à l’exercice de leurs missions. ». La procédure doit leur prévoir les garanties permettant l’exercice impartial de leurs missions (art. 5, décret du 3 octobre 2022). 

Le canal de réception d’une part et le traitement d’autre part peuvent être gérés par des personnes ou des services différents, ce qui est habituellement le cas mais non une obligation. La détermination des règles organisant le traitement des signalements peut se révéler complexe, les alertes susceptibles d’être émises pouvant relever de domaines de compétence très divers. Pour mémoire, afin de désigner les autorités pouvant être saisies, le décret a identifié en annexe par moins de 23 domaines de compétence.

La procédure interne doit faire l’objet d’une diffusion par tout moyen dans des conditions permettant d’assurer une publicité suffisante (art. 8, décret du 3 octobre 2022), notamment par voie de notification, affichage ou publication, le cas échéant sur le site internet ou par voie électronique. Le point essentiel est que ces conditions doivent permettre de rendre la procédure interne accessible de manière permanente aux personnes mentionnées à l’article 8 de la loi 2016-1691 du 9 décembre 2016 évoquée plus haut.

Le Défenseur des droits voit son rôle renforcé, son service ayant la charge d’orienter les lanceurs d’alerte et de réorienter les alertes lorsqu’une autorité externe saisie estime qu’elle n’est pas compétente. C’est ainsi que tout au long de son parcours, le lanceur d’alerte peut solliciter l’appui du nouvel adjoint au Défenseur des droits dont la première nomination est intervenue par décret du 16 avril 2022.

Les entreprises soumises à cette réforme peuvent utilement mener une réflexion en profondeur en faisant appel aux compétences Ressources Humaines et Compliance en vue de clarifier leur procédure interne et fortifier la qualité de leur démarche en matière de responsabilité sociétale.

Eliane Chateauvieux
Avocate associé | + posts

Eliane est co-fondateur du cabinet actance en 2005, à la suite d’une expérience riche de neuf années passées au sein du Cabinet Barthélémy & Associés.

Titulaire d’un DEA de Droit Social de l’Institut d’Etudes du Travail (Lyon II) et Spécialiste de droit du travail, elle accompagne avec son équipe de grandes entreprises et groupes dans la conception, la réalisation et le déploiement de multiples formes de restructuration, au plus près de leurs équipes et en proposant une approche formée sur l’écoute et l’ingéniosité. Elle intervient également en matière de négociation collective, de gestion des relations avec les représentants du personnel et plus largement de relations collectives et individuelles du travail.

Eliane est également très présente dans le domaine de la formation, sollicitée par de nombreux groupes pour concevoir et co-animer des programmes de formation destinés à leur réseau français en charge des Ressources Humaines.

Iris Ackermann
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