Elections professionnelles : précisions sur le régime du vote électronique Elections professionnelles : précisions sur le régime du vote électronique
Le Comité Social et Economique (CSE) est entré en vigueur depuis le 1er janvier 2018. Les entreprises se préparent donc à lancer de nouvelles élections professionnelles dans les prochains mois en vue du renouvellement de l’instance. Compte tenu notamment du développement accru du télétravail, le choix du recours au vote électronique pourra être privilégié.
Maiwenn LE GLEAU & Virginie AUDET reviennent sur un arrêt rendu le 23 mars 2022 par la Chambre Sociale de la Cour de cassation qui apporte des précisions sur le régime des élections professionnelles et plus particulièrement sur le vote électronique (Cass. soc., 23 mars 2022, n° 20-20.047).
Rappel des faits et de la procédure
Un protocole d’accord préélectoral a été signé entre une société et les organisations syndicales représentatives en vue de la mise en place d’un comité social et économique, lequel protocole prévoyait notamment le recours au vote électronique. Le premier tour se déroulant du 12 au 22 novembre 2019, le second tour, le cas échéant, du 27 novembre au 6 décembre 2019, il était prévu, par ailleurs, que l’appréciation des conditions d’électorat et d’éligibilité serait réalisée à la date de clôture du premier tour, soit le 22 novembre 2019.
Un syndicat non-signataire du protocole a sollicité, postérieurement à la clôture du scrutin du premier tour, la communication des listes d’émargement. La société a refusé de faire droit à cette demande.
En réponse, le syndicat et un salarié ont saisi le tribunal d’instance de Versailles pour obtenir l’annulation du premier tour des élections professionnelles.
Deux problématiques essentielles sont appréhendées dans l’arrêt rendu le 23 mars 2022 :
- La faculté pour un syndicat et/ou un salarié d’accéder à la liste d’émargement à la fin des opérations électorales pour vérifier la régularité et la sincérité desdites opérations ;
- La possibilité de prévoir, dans un protocole d’accord préélectoral, que la date d’appréciation de l’ancienneté des salariés électeurs et éligibles sera la clôture des opérations de vote en cas de vote se déroulant sur plusieurs jours.
La décision
Un accès encadré à la liste d’émargement en cas de vote électronique
Le système de vote électronique doit pouvoir être scellé à l’ouverture et à la clôture du scrutin ; dans ce cadre :
- Durant les opérations de vote, la liste d’émargement n’est accessible qu’aux membres du bureau de vote et à des fins de contrôle de déroulement du scrutin (C.trav. R.2314-16 du code du travail);
- Dès la clôture du scrutin, le contenu de l’urne, les listes d’émargement et les états courants gérés par les serveurs sont figés, horodatés et scellés automatiquement sur l’ensemble des serveurs (art. 7 de l’ Arrêté du 25 avril 2007 pris en application du décret n° 2007-602 du 25 avril 2007 relatif aux conditions et aux modalités de vote par voie électronique) ;
- L’employeur ou le prestataire qu’il a retenu conserve sous scellés, jusqu’à l’expiration du délai de recours et, lorsqu’une action contentieuse a été engagée, jusqu’à la décision juridictionnelle devenue définitive, les fichiers supports comprenant la copie des programmes sources et des programmes exécutables, les matériels de vote, les fichiers d’émargement, de résultats et de sauvegarde (C.trav. R.2314-17 du code du travail).
Est-ce qu’une organisation syndicale et/ou un salarié peuvent accéder à la liste d’émargement, postérieurement à la clôture du scrutin, pour vérifier la régularité et la sincérité des opérations électorales ?
La Cour de cassation précise, pour la première fois à notre connaissance, qu’après la clôture du scrutin, seul le juge saisi d’une éventuelle contestation des élections, à l’exclusion de toute autre personne, peut avoir accès à la liste d’émargement.
Dès lors, après la clôture du scrutin et en cas de contestation des élections, il appartient aux parties intéressées (par exemple, aux organisations syndicales) de demander au juge que les listes d’émargement soient tenues à sa disposition. C’est ainsi le tribunal qui procèdera aux vérifications de la régularité des listes d’émargement.
En l’espèce, les requérants avaient été déboutés de leur demande d’annulation des élections, aux motifs, d’une part, que l’accès à la liste d’émargement en cas de vote électronique n’était pas prévu après la clôture des opérations de vote et scellement des fichiers supports et, d’autre part, qu’aucun élément ne permettait de douter de la régularité des opérations de vote.
Aux termes de son avis, l’avocat général près de la Cour de cassation considère que les dispositions du code du travail ont prévu des modalités permettant, en cas de vote électronique, de s’assurer de la régularité et de la sincérité du scrutin par d’autres moyens et à d’autres moments du processus électoral que ceux prévus pour les élections « classiques ». Elle en déduit que les demandeurs ne pouvaient valablement se plaindre de l’impossibilité de consulter la liste d’émargement.
La Cour de cassation a confirmé le rejet de la demande d’annulation des élections en relevant que le tribunal n’avait été saisi d’aucune demande de vérification des listes d’émargement et que le refus d’accès à la liste d’émargement était justifié.
A l’avenir, il convient donc d’avoir à l’esprit que la demande de contrôle judiciaire des listes d’émargement devrait être sollicitée de manière expresse par toute partie intéressée dans le cadre d’une demande d’annulation des élections professionnelles pour laquelle un examen de ces listes s’impose. Aucun droit d’accès direct à la liste d’émargement, à la fin des opérations électorales, n’est attribué à un électeur, un candidat ou une organisation syndicale ayant déposé une liste de candidatures.
Immuabilité de la date d’appréciation des conditions d’ancienneté pour être électeur et éligible
Le Code du travail fixe les conditions légales pour être électeur et éligible aux élections professionnelles, en ce compris une ancienneté minimale au sein de l’entreprise (C.trav. L.2314-18 et suivants du code du travail).
Selon une jurisprudence bien établie, les conditions de l’électorat sont appréciées à la date du premier tour des élections (Cass. soc., 30 oct. 2001, n° 00-60.341). Un protocole d’accord préélectoral ne peut pas modifier cette date en privant les salariés des droits électoraux qu’ils tiennent de la loi.
Toutefois, quelle date doit être prise en considération lorsqu’un scrutin par vote électronique se déroule sur plusieurs jours ? Le protocole d’accord préélectoral peut-il fixer la date d’appréciation de ce critère d’ancienneté à la clôture du scrutin électronique ?
La Cour de cassation répond par la négative. Elle précise que si un protocole d’accord préélectoral peut, par des dispositions plus favorables, déroger aux conditions d’ancienneté exigées par les articles L. 2314-18 (salariés électeurs) et L. 2314-19 (salariés éligibles) du code du travail, il ne peut pas toutefois modifier la date d’appréciation de ces conditions.
La Cour considère qu’en cas de « recours à un vote électronique se déroulant sur plusieurs jours, les conditions d’ancienneté dans l’entreprise pour être électeur et éligible s’apprécient à la date du premier jour du scrutin » et non à la date de sa clôture.
Cette solution ne privilégie donc pas l’intérêt des salariés qui disposeraient de l’ancienneté requise avant l’expiration des opérations électorales ; toutefois, elle permet d’assurer la stabilité des listes et le respect des critères légaux, dès l’ouverture du scrutin.
Virginie Audet
Virginie Audet est avocat depuis 2007 et a rejoint le Cabinet Actance en 2013 après avoir exercé au sein du Département Droit social du Cabinet Fidal. Elle est diplômée du DESS Droit et Pratique des Relations de Travail de l’Université de Toulon. Elle apporte aujourd’hui son expertise en conseil à nos clients en les accompagnant dans leur prise de décision et dans la définition de leur stratégie en matière de relations sociales et de gestion des ressources humaines. Elle dispose d’une solide expérience dans l’animation de formations auprès des DRH, services juridiques et managers, et assure également la gestion des contentieux.