Délais de consultation du Comité Social et Economique : l’abandon des règles de forme au profit des règles de fond

La fixation des délais de consultation du Comité Social et Economique (CSE) s’effectue légalement par accord collectif, ou, à défaut de délégué syndical dans l’entreprise, par accord conclu entre l’employeur et le CSE adopté à la majorité de ses membres ayant voix délibérative (C. trav. art. L.2312-16).
A défaut d’accord, les délais supplétifs prévus par la réglementation s’applique, notamment le délai d’un mois, porté à deux mois en cas de désignation d’un expert (C. trav. Art. R.2312-6).
Dans un arrêt du 8 juillet 2020, la Cour de cassation admettait pour la première fois, selon une lecture très souple des dispositions légales, que l’accord précité pouvait prendre la forme d’un échange de courriels entre le Président et le Secrétaire du CSE, sans vote des membres de l’instance.
Par un arrêt du 29 juin 2022, la Cour de cassation est venue confirmer sa position considérant que l’accord informel passé entre la Société et son CSE prévoyant la convocation du Comité à une réunion en vue du recueil de l’avis, postérieurement à l’expiration du délai réglementaire de consultation initialement applicable faisait échec à l’application des délais règlementaires, même en cas de désignation d’un expert lors de ladite réunion (Cass. Soc., 29 juin 2022, n°21-11.077).
Cette jurisprudence vient ainsi confirmer la volonté de la Cour de cassation d’abandonner les règles formalistes au profit du fond du droit.

Rappel des faits et de la procédure

En l’espèce, une réunion du CSEC était organisée le 30 septembre 2020 dans le cadre de la consultation relative à la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et d’emploi. A cette occasion, divers bilans économiques et sociaux relatifs à l’année 2019 étaient communiqués aux membres de l’instance.

Cette date constituait le point de départ du délai réglementaire de consultation d’un mois, aucun expert n’ayant été désigné.

Le 30 octobre suivant, date avancée comme étant le terme du délai règlementaire d’un mois accordé au CSEC pour rendre son avis (alors que ce délai expirait en réalité le 29 octobre), le Comité était réuni mais le nombre de point à aborder à l’ordre du jour de la réunion ne lui permettait pas de traiter celui-ci de sorte qu’il ne rendait pas d’avis.  

Il était alors convenu de reporter la remise de l’avis sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et d’emploi au 12 novembre.

Le 12 novembre 2020, se tenait la troisième réunion convenue au cours de laquelle l’employeur effectuait une présentation détaillée de sa politique sociale. En réaction, le CSEC, s’estimant confrontée à des informations complémentaires et insuffisamment informé, refusait de rendre un avis et votait la désignation d’un expert.

Par l’effet de cette désignation, le CSEC soutenait que le délai règlementaire de consultation était ainsi prorogé jusqu’au 30 novembre 2020, conformément à l’article R.2312-6 du code du travail. 

De son côté, la Société saisissait le Tribunal judiciaire et sollicitait l’annulation de la délibération portant désignation de l’expert.

Le Tribunal judiciaire refusait de faire droit à la demande de la Société et jugeait que par la désignation de l’expert le 12 novembre 2020, « la durée de consultation a été portée à deux mois avec effet rétroactif à compter du point de départ ».

Il considérait ainsi que le délai de consultation courrait donc jusqu’au 30 novembre 2020 (29 novembre 2020 plus exactement).

La Société décidait de se pourvoir en cassation.

La décision

La Société invoquait devant la Cour de cassation deux arguments principaux :

  • Le délai de consultation peut être prorogé d’un commun accord avec le CSE ;
  • La fixation d’un délai par accord fait échec à l’application des délais de consultation réglementaires.

Dans ce cadre, la Société soutenait qu’en décidant d’un commun accord avec le CSEC de la tenue d’une troisième réunion le 12 novembre 2020 au-delà du terme du délai réglementaire de consultation initialement fixé au 30 octobre, les parties avaient conjointement fixée un délai de consultation à la date de cette réunion.

Elle précisait que, l’aménagement conventionnel des délais faisait échec à l’application des dispositions règlementaires, de sorte que le CSE aurait dû rendre son avis au plus tard le 12 novembre 2020.

Aussi, la désignation par le CSEC d’un expert le 12 novembre, dernier jour du délai convenu par accord pour rendre son avis, ne pouvait permettre de proroger le délai de consultation jusqu’au 30 novembre.

La question posée à la Cour de cassation était donc la suivante : la convocation à une réunion conjointement fixée après le délai l’expiration du délai réglementaire de consultation initialement applicable, constitue-t-elle un accord au sens de l’article L.2312-16 du code du travail permettant d’exclure l’application des délais règlementaires ?

Dans un arrêt particulièrement détaillé, la Cour de cassation a répondu positivement et cassé le jugement du Tribunal Judiciaire.

Cette dernière a considéré que, dans la mesure où l’employeur et le CSEC avaient conjointement convenu que le recueil de l’avis serait rendu lors d’une réunion fixée au 12 novembre 2020, le délai de consultation avait ainsi été reporté à cette date, écartant l’application des délais règlementaires.

Par conséquent, le CSEC n’ayant pas rendu d’avis le 12 novembre 2020, il était réputé avoir été consulté à cette date, de sorte que la désignation de l’expert était vidée de son objet.

Compte tenu de ces éléments, la Cour de cassation a, dans un arrêt publié au bulletin, cassé la décision du Tribunal judiciaire de Maux sans renvoi et prononcée l’annulation de la délibération du CSEC de la Société portant désignation d’un expert.

La portée

Alors que les dispositions légales réservent :

  • dans les entreprises pourvues d’un ou plusieurs délégués syndicaux, à l’accord collectif de travail,
  • dans les entreprises dépourvues de délégué syndical, à un accord entre l’employeur et le CSE adopté à la majorité de ses membres titulaires,

le soin de fixer le délai de consultation du CSE, la jurisprudence avait admis, pour la première fois par un arrêt  du 8 juillet 2020, qu’un accord informel « avéré » pouvait aménager les délais de consultation, sans vote préalable des élus de l’instance (Cass. soc., 8 juillet 2020, n°19-10.987).

Elle relevait à cette occasion qu’au regard de (1) la date de communication des informations sur la base de données économiques et sociales, (2) des échanges écrits entre la direction et le comité ou l’expert et (3) de la fixation conjointe avec le secrétaire du comité de réunions dont l’ordre du jour comportait la restitution des travaux de l’expert et la remise de l’avis « la Cour d’appel aurait dû en déduire que les délais de consultation avaient d’un commun accord été prolongés ».

Selon cette dernière, un accord informel, qui se déduit des comportements de l’employeur et du CSE représenté par son secrétaire, peut donc parfaitement modifier les délais de consultation.

Il ressort de cet arrêt que l’approbation des membres titulaires du CSE ne serait donc pas nécessaire pour modifier le délai de consultation, malgré les termes de l’article L.2312-16 qui, à première vue, ne laissaient pas de doute quant à la forme que devait prendre un tel accord.

Compte tenu de l’interprétation particulièrement large des dispositions légales retenues par la Cour de cassation dans son arrêt du 8 juillet 2020, il était légitime de s’interroger sur le maintien d’une telle souplesse.

Cette interprétation des textes est toutefois confirmée par l’arrêt du 29 juin 2022.

Dans un attendu très clair, la Cour de cassation a ainsi déclaré :

« l’employeur et le comité social et économique central étaient convenus par un commun accord de  reporter le terme du délai du consultation au 12 novembre 2020, ce dont il aurait dû  déduire que cet accord excluait l’application des délais réglementaires fixés ».

Cette dernière confirme ainsi que :

  • Un accord informel entre l’employeur et le CSE peut modifier les délais de consultation ;
  • Cet accord entre le Président et les membres du Comité peut résulter des débats en réunion fixant la date d’une réunion ultérieure et de l’objet de cet réunion : le recueil de l’avis du CSE ;
  • Cet accord exclut par voie de conséquence l’application des délais règlementaires.

Cette jurisprudence, bien que surprenante au premier abord, démontre surtout la volonté de la Cour de cassation d’abandonner le formalisme imposé par le Code du travail, au profit des règles de fond, à savoir, la recherche de l’échange des consentements entre l’employeur et le CSE matérialisant la volonté de proroger les délais de consultation.

Il est donc désormais plus aisé pour l’employeur et le CSE de modifier les délais de consultation et d’écarter l’application des délais règlementaires, à condition, toutefois, de veiller à la clarté des échanges, notamment, la rédaction de l’ordre du jour qui, pour caractériser un accord informel prorogeant le délai de consultation, devra indiquer expressément que la réunion convenue a pour objet le recueil de l’avis du CSE.

Sébastien Leroy
Avocat associé | +33 (0)144 94 96 00 | societe@actanceavocats.com | + posts

Sébastien est titulaire d’un Master II Droit et Pratique des Relations de travail de l’Université Panthéon Assas. Il a collaboré au sein du Cabinet Barthélémy & Associés pendant 2 années avant de rejoindre le Cabinet Actance en janvier 2007. Sébastien exerce une activité de conseil au quotidien ou dans le cadre de projets de réorganisation auprès d’une clientèle composée de PME ou de groupes côtés ou non. Il assure la défense de ces mêmes clients devant les différentes juridictions compétentes en droit social, notamment, à l’occasion de contentieux impliquant les instances représentatives du personnel. Sébastien a développé des compétences spécifiques en matière de restructuration, aménagement du temps de travail et épargne salariale.

Laura Guilloton
Avocate | +33 (0)144 94 96 00 | societe@actanceavocats.com | + posts