Consultation sur les orientations stratégiques VS. consultations ponctuelles du CSE : une autonomie consacrée

Par un arrêt en date du 21 septembre 2022 (n°20-23.660), la chambre sociale de la Cour de cassation a rendu une décision qui était attendue sur l’articulation entre la consultation récurrente sur les orientations stratégiques de l’entreprise d’une part, et les consultations ponctuelles d’autre part, en retenant que ces dernières ne sont pas subordonnées au respect préalable par l’employeur de la première.

Rappel des termes du débat et des thèses en présence

Pour rappel, les attributions consultatives du CSE sont de deux ordres :

  • Les consultations récurrentes (menées chaque année à défaut d’accord collectif prévoyant une périodicité différente), qui visent en particulier les 3 « blocs » suivants[1]:
    • Les orientations stratégiques ;
    • La situation économique et financière,
    • La politique sociale, les conditions de travail et l’emploi ;
  • Les consultations ponctuelles, préalables à toute décision intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise. Ces consultations concernent notamment les opérations de restructuration et de compression des effectifs, de licenciement collectif pour motif économique ou plus largement de réorganisation (fusion, cession, scission,…)[2].

Parmi les trois consultations récurrentes, celle portant sur les orientations stratégiques permet au CSE de se prononcer sur la stratégie à court et moyen terme envisagée par l’entreprise et sur les conséquences de ces orientations sur l’activité, l’emploi, l’évolution des métiers et des compétences, l’organisation du travail, le recours à la sous-traitance, à l’intérim, à des contrats temporaires et à des stages. Cette consultation porte, en outre, sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, sur les orientations de la formation professionnelle et sur le plan de développement des compétences[3].

Au cours des dernières années, une controverse jurisprudentielle et doctrinale s’est développée quant à la portée de cette consultation récurrente, et en particulier sur la capacité pour une entreprise d’initier un projet ponctuel d’ampleur alors même qu’elle n’avait pas organisé la consultation sur les orientations stratégiques ou que le contenu de cette consultation s’avérait incohérent avec la nature de l’opération envisagée.

Deux positions s’opposaient :

  • Celle de l’autonomie de la consultation sur un projet ponctuel par rapport à celle sur les orientations stratégiques

Cette position avait notamment été adoptée par la Cour d’appel de Paris, qui avait estimé que les deux processus de consultation n’avaient pas le même objet, de sorte que l’employeur n’était pas tenu d’attendre l’échéance de la consultation sur les orientations stratégiques de l’entreprise, ni d’anticiper cette consultation par rapport à sa périodicité habituelle lorsqu’un projet ponctuel était envisagé[4].

  • Celle faisant de la consultation sur les orientations stratégiques un prérequis au lancement d’une consultation ponctuelle

Cette position avait notamment été retenue par le tribunal de grande instance de Nanterre, qui avait ordonné la suspension de plusieurs procédures de consultation sur des projets de réorganisation, estimant que la consultation du comité sur les orientations stratégiques de l’entreprise devait avoir lieu et s’achever préalablement à la consultation du comité sur les questions intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise[5].

Enfin, plus récemment, dans l’affaire qui a conduit à l’arrêt de la Cour de cassation du 22 septembre 2022, la Cour d’appel de Paris avait également conclu à la suspension d’une consultation ponctuelle jusqu’à la clôture de celle sur les orientations stratégiques[6].

 

Il appartenait donc à la Chambre sociale de la Cour de cassation de trancher cette question, dont la réponse était notamment susceptible d’avoir un effet sur nombre de calendriers de procédure, la consultation sur les orientations stratégiques pouvant durer jusqu’à 2 mois (en cas d’expertise), décalant potentiellement d’autant la consultation ponctuelle en cause.

La Cour de cassation tranche en faveur de l’autonomie des consultations

Dans cette affaire, un organisme d’enseignement privé entendait procéder à la fermeture d’un lycée du paysage et de l’environnement et à la résiliation du contrat d’association correspondant avec le ministère de l’agriculture. Concomitamment au lancement de la procédure d’information-consultation ponctuelle sur ce projet, une réunion de consultation du CSE sur les orientations stratégiques avait été fixée par l’employeur.

Toutefois, le CSE avait sollicité la suspension de la consultation ponctuelle, considérant que ce projet résultait d’un choix stratégique imposant que soit menée au préalable la consultation sur les orientations stratégiques.

Comme évoqué, en contradiction avec sa position antérieure, la cour d’appel de Paris avait donné raison au CSE en ordonnant la suspension de la consultation ponctuelle sur la fermeture du lycée et la résiliation du contrat jusqu’à la clôture de celle sur les orientations stratégiques[7].

Pour la Cour d’appel de Paris, la décision envisagée était un « choix stratégique » résultant notamment du constat d’une dégradation de la situation économique et de la volonté de rétablir un équilibre financier après plusieurs années de déficit. Ainsi, la cour en a déduit qu’il s’agissait de la « déclinaison concrète d’une orientation stratégique » qui devait en conséquence être préalablement soumise à la discussion du CSE.

Aux termes d’un attendu dénué d’ambiguïté, la Cour de cassation estime au contraire que « la consultation ponctuelle sur la modification de l’organisation économique ou juridique de l’entreprise ou en cas de restructuration et compression des effectifs n’est pas subordonnée au respect préalable par l’employeur de l’obligation de consulter le comité social et économique sur les orientations stratégiques de l’entreprise ».

Ce faisant, la Cour de cassation opte pour une position sécurisante pour les entreprises, dans la continuité de la position qu’elle avait adoptée en 2009, lorsqu’elle avait jugé que la régularité d’une consultation du comité d’entreprise sur le licenciement collectif n’était pas subordonnée au respect préalable de la consultation sur l’évolution annuelle des emplois et des compétences alors prévue par le Code du travail, ni au respect de l’obligation triennale de négociation sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences[8].

Il est à noter, en corollaire de cette position de la Cour de cassation, que la consultation sur les orientations stratégiques ne saurait se substituer à une consultation sur un projet ponctuel, les deux procédures ayant un objet distinct[9].

Une décision qui ne remet pas en cause l’importance de la consultation sur les orientations stratégiques

Si cet arrêt pose le principe d’une autonomie entre consultation sur les orientations stratégiques et consultation ponctuelle, il ne doit pour autant pas conduire les entreprises à considérer que la consultation sur les orientations stratégiques devient facultative ou qu’elle se trouverait à tout le moins vidée de sa substance.

Outre que cette consultation demeure incontournable sous peine d’entraver les attributions du Comité Social et Economique, la position de la Cour de cassation ne couvre sans doute pas les cas d’abus, de déloyauté ou de fraude, notamment dans l’hypothèse d’un employeur éludant volontairement, lors de la consultation sur les orientations stratégiques, un projet ponctuel dont il est prouvé qu’il a pourtant connaissance à cette date[10].

Par ailleurs, notons que le juge administratif ne s’est pas prononcé, à notre connaissance, sur cette question de l’articulation entre les consultations, dans le cadre de sa compétence juridictionnelle exclusive en matière de plan de sauvegarde de l’emploi (PSE)[11]. Sur ce point, la Cour d’appel de Versailles a ainsi jugé que le juge judiciaire n’était pas compétent pour connaître d’un litige portant sur l’articulation de la consultation sur les orientations stratégiques et un projet de licenciement collectif pour motif économique avec mise en œuvre d’un PSE[12].

L’employeur se doit donc de mener la consultation sur les orientations stratégiques selon la fréquence résultant des dispositions conventionnelles ou légales applicables, en veillant à présenter à cette occasion les grandes tendances pour la période à venir, en fonction des informations dont il dispose à cette date et qui doivent figurer dans la Base de Données Economiques, Sociales et Environnementales, laquelle doit être régulièrement mise à jour.

***

[1] CA Paris, 3 mai 2018, n°17/09307 ; 31 janv. 2019, n°18/1690

[2] TGI Nanterre, référés, 28 mai 2018, n°18/001187 ; 30 mai 2018, n°18/00558 ; 11 juillet 2019, n°19/02211

[3] CA Paris, 29 oct. 2020, n°20/04265

[41] Article L2312-17 du Code du travail

[5] Articles L2312-8 et L2312-37 et suivants du Code du travail

[6] Article L.2312-24 du code du travail

[7] CA Paris, 29 oct. 2020, n°20/04265

[8] Cass. soc., 30 sept. 2009, n°07-20.525

[9] TJ Créteil, réf. 24 juin 2022, n°22/00315

[10]A cet égard il convient de relever que dans l’affaire ayant conduit à l’arrêt de la Cour de cassation du 22 septembre 2022, l’avocat général, tout en affirmant le principe d’indépendance entre les consultations, précisait que celui-ci trouvait sa limite en cas de fraude ou de déloyauté de l’employeur (ce qu’il avait d’ailleurs considéré au cas d’espèce, contrairement à la Cour).

[11] Article L1233-57-1 du Code du travail

[12] CA Versailles, 12 juillet 2018, n°18/04069

+ posts