Abandon de poste : l’adoption définitive de la présomption de démission Abandon de poste : l’adoption définitive de la présomption de démission
Les 15 et 17 novembre dernier, les parlementaires ont définitivement adopté le projet de loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi, dite loi « Marché du travail ».
Ladite loi ne pourra être publiée qu’après la décision du Conseil constitutionnel, ce dernier ayant été saisi pour effectuer un contrôle a priori de sa constitutionnalité. Il doit se prononcer dans un délai d’un mois suivant sa saisine, soit au plus tard le 18 décembre prochain.
La loi « Marché du travail » crée une présomption de démission en cas d’abandon volontaire du salarié de son poste de travail (nouvel article L.1237-1-1 du Code du travail).
Selon les rapporteurs du projet de loi, les objectifs poursuivis par cette nouvelle mesure sont :
– d’une part, de limiter les perturbations engendrées par les abandons de poste dans les entreprises ;
– d’autre part, de permettre l’application « à ces salariés des règles d’indemnisation du chômage prévues en cas de démission ». En effet, selon les rapporteurs « il n’est pas souhaitable qu’un salarié licencié à l’issue d’un abandon de poste dispose d’une situation plus favorable en matière d’assurance chômage qu’un salarié qui démissionne et qui n’est pas indemnisé » (rapport du Sénat n°61 du 19 octobre 2022).
Laure Mercier, avocat counsel et Gabrielle de Wailly, juriste au sein du cabinet Actance reviennent sur les modalités et les conséquences de cette mesure.
De l’inexécution fautive du contrat à la présomption de démission
L’abandon de poste n’est pas défini par le Code du travail. En pratique, il se caractérise par une absence non autorisée du salarié à son poste de travail, qui peut être prolongée ou réitérée sans justification.
Jusqu’à présent, et selon la jurisprudence, l’abandon de poste ne caractérisait pas une volonté claire et non équivoque du salarié de démissionner (Cass. Soc., 17 octobre 2012, n°11-18.291 ; Cass. Soc., 2 décembre 2009, n°08-40.948), mais constituait une inexécution fautive de son contrat de travail contraignant l’employeur à prendre l’initiative de la rupture.
Le comportement fautif du salarié pouvait ainsi, selon les circonstances, justifier un licenciement disciplinaire pour cause réelle et sérieuse ou pour faute grave (Cass. Soc., 23 janv. 2008, n°06-41.671 ; Cass. Soc., 29 juin 2017, n°15-22.856).
Pour apprécier la validité d’un tel licenciement, la jurisprudence examinait notamment la durée et/ou la répétition de l’absence non autorisée (Cass. Soc., 25 octobre 2011, n°10-16.920 ; Cass. Soc., 6 mars 2019, n°18-11.451) ou encore le silence du salarié, qui demeure injoignable (Cass. Soc., 29 octobre 2008, n°06-46.189 ; Cass. Soc., 29 juin 2017, n°15-22.856).
Le licenciement du salarié sur ce fondement lui ouvrait la possibilité de bénéficier d’une indemnisation par l’assurance chômage (sous réserve que l’ensemble des conditions d’indemnisation soient remplies), puisqu’il était considéré jusqu’alors comme étant privé involontairement de son emploi.
La loi « Marché du travail » bouleverse cette logique établie en instaurant une présomption simple de démission en cas d’abandon de poste du salarié.
Le caractère volontaire de l’abandon de poste
L’application de cette présomption de démission est subordonnée au caractère volontaire de l’abandon du poste du salarié, sans pour autant que le nouvel article du Code du travail ne précise ce qu’il convient d’entendre par « volontaire ».
Lors des débats parlementaires, les députés à l’origine de ce nouveau dispositif ont précisé que la mesure ne s’appliquerait pas aux salariés contraints de quitter leur poste de travail pour des motifs de santé ou de sécurité.
Les sénateurs ont également indiqué dans leur rapport que dans certaines situations, l’absence du salarié peut être considérée comme justifiée ou légitime et ne peut donc constituer un abandon de poste (rapport du Sénat n°61 du 19 octobre 2022). Tel est le cas notamment :
- de l’exercice par le salarié de son droit de retrait lorsqu’il estime se trouver dans une situation de danger imminent,
- de l’exercice du droit de grève,
- du refus d’exécuter une instruction de la hiérarchie contraire à la réglementation,
- ou encore du refus d’une modification unilatérale de son contrat de travail.
Par le biais de ces différentes exceptions, les salariés pourraient donc invoquer divers manquements de leur employeur pour faire valoir le caractère légitime ou involontaire de leur absence non autorisée et tenter de renverser la présomption.
L’enjeu est important car, au-delà de la question de l’indemnisation par l’assurance chômage, si le salarié établit que l’abandon de son poste est contraint et/ou légitime, la rupture de son contrat pourra produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il conviendra donc d’être particulièrement vigilant dans la mise en œuvre de ce dispositif, notamment dans certaines situations où l’employeur n’aurait pas nécessairement tous les éléments en sa possession pour apprécier le caractère volontaire de l’absence non autorisée du salarié (exemple du salarié hospitalisé pour une longue durée, qui serait dans l’incapacité de contacter son employeur et a fortiori de lui transmettre son arrêt de travail).
La nécessaire mise en demeure préalable du salarié
Le nouvel article L.1237-1-1 du Code du travail prévoit certaines garanties de procédure tant pour le salarié que pour l’employeur, qui visent notamment à s’assurer que l’abandon de poste est volontaire et réitéré.
En effet, la présomption simple de démission ne sera applicable que lorsque l’employeur aura mis en demeure le salarié de justifier son absence ou de reprendre son poste de travail dans un délai qu’il devra fixer (et qui ne pourra être inférieur à un délai qui sera défini par décret), et que celle-ci reste infructueuse.
Cette mise en demeure devra prendre la forme d’un courrier recommandé avec accusé de réception ou d’une lettre remise en main propre contre décharge (ce qui apparaît moins probable en pratique dès lors que, par définition, le salarié est absent de l’entreprise).
Si le salarié justifie d’un motif légitime pendant ce délai, notamment pour l’une des raisons rappelées ci-avant, la présomption tombe et l’employeur ne pourra donc plus présumer le salarié comme étant démissionnaire.
A l’inverse, à défaut de régularisation de sa situation dans le délai imparti, le salarié sera présumé démissionnaire à l’expiration de celui-ci. En d’autres termes, la date d’expiration de ce délai constituera la date de rupture effective du contrat de travail.
Cette présomption de démission privera le salarié de la possibilité de bénéficier des allocations de l’assurance chômage, sauf s’il relève de l’un des cas de démission légitime (Circulaire n°2019-12 du 1er novembre 2019, Fiche 2 bis).
La contestation possible du salarié dans le cadre d’une procédure accélérée devant le Conseil de prud’hommes
Aux fins de renverser cette présomption simple et de contester la rupture de son contrat de travail, le salarié présumé démissionnaire pourra saisir directement le bureau de jugement du Conseil de prud’hommes (sans passage préalable devant le bureau de conciliation).
Le texte prévoit que le Conseil de prud’hommes devra se prononcer dans le mois suivant sa saisine sur la nature de la rupture du contrat de travail du salarié et les conséquences y afférentes, à l’instar de la procédure accélérée prévue en matière de prise d’acte ou de résiliation judiciaire (C. trav., art. L.1451-1). Il apparaît toutefois peu probable que ce délai d’un mois puisse être effectivement respecté, compte tenu des délais de traitement des dossiers par les juridictions prud’homales.
Si le juge considère que la démission du salarié est involontaire ou résulte de manquements avérés de l’employeur, celle-ci devrait être requalifiée et produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et le salarié serait alors éligible aux indemnités versées par l’assurance chômage.
En conclusion, si dans certaines entreprises ou certains secteurs d’activité où l’abandon de poste par les salariés est extrêmement fréquent, cette nouvelle mesure pourrait être de nature à limiter les perturbations générées par cette pratique, elle pose néanmoins un certain nombre de questions et peut être source d’insécurité juridique pour l’employeur.
En effet :
- d’une part, le dispositif ne prévoit aucun critère précis et objectif, au-delà de la procédure de mise en demeure, permettant de caractériser un abandon de poste (durée et répétition de l’absence). Sur ce point, il conviendra donc de se référer à la jurisprudence antérieure rendue en la matière ;
- d’autre part, il reviendra au juge de préciser notamment les cas dans lesquelles la démission sera considérée comme contrainte pour des raisons de santé ou de sécurité, lorsque cela sera invoqué par le salarié ;
- enfin, si la démission du salarié était jugée contrainte ou involontaire, l’employeur pourrait être condamné, au-delà des indemnités de rupture, à réparer le préjudice qui résulterait de la privation de l’allocation de retour à l’emploi sur la période considérée.