Actu-tendance n° 640

Jurisprudence – Relations individuelles

Rappel : Le salarié dispose d’une liberté d’expression au sein et hors de l’entreprise, sauf abus (Cass. soc., 29 novembre 2006, n° 04-48.012).
L’abus est notamment caractérisé lorsque les termes utilisés par le salarié sont injurieux, diffamatoires ou excessifs.
Le licenciement prononcé par l’employeur pour un motif lié à l’exercice non abusif par le salarié de sa liberté d’expression est nul (Cass. Soc., 16 janvier 2022, n° 19-17.871).
Le licenciement est-il nul lorsqu’il n’est motivé qu’en partie par l’exercice sans abus de la liberté d’expression du salarié ?

Cass. Soc., 29 juin 2022, n° 20-16.060

Dans cette affaire, le directeur général de la filiale Roumaine d’une société alerte, le 2 décembre 2016, sa hiérarchie sur les problèmes majeurs de sécurité et de corruption dont il est témoin.

En l’absence de réaction, il adresse une lettre le 23 décembre 2016 au président du directoire du groupe pour dénoncer la gestion jugée désastreuse de la filiale tant sur le terrain économique et financier qu’en termes d’infractions graves et renouvelées à la législation sur le droit du travail.

Le salarié est licencié pour faute grave le 20 janvier 2017.

La lettre de licenciement lui reproche 3 griefs dont notamment « les propos qu’il avait tenus dans le courrier adressé au président du directoire du groupe dans lequel il mettait en cause le directeur d’une filiale ainsi que les choix stratégiques du groupe ».

Le directeur général saisit la juridiction prud’homale pour contester son licenciement. La Cour d’appel lui donne raison et juge le licenciement nul car fondé sur l’exercice sans abus par le salarié de sa liberté d’expression.

Les juges ont estimé en effet que « les termes employés n’étaient ni injurieux, ni excessifs, ni diffamatoires à l’endroit de l’employeur et du supérieur hiérarchique ».

Saisie du pourvoi, la Cour de cassation confirme cette décision en rappelant que « sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression ».

Elle ajoute que « le caractère illicite du motif du licenciement prononcé, même en partie, en raison de l’exercice, par le salarié, de sa liberté d’expression, liberté fondamentale, entraîne à lui seul la nullité du licenciement ».

En l’espèce, les juges ont relevé que la lettre de licenciement reprochait notamment au salarié l’exercice non abusif de sa liberté d’expression, et en ont déduit « sans avoir à examiner les autres griefs invoqués dans la lettre de licenciement » que le licenciement était nul.

Note : Il est vivement recommandé de ne pas mentionner dans la lettre de licenciement l’exercice par le salarié de sa liberté d’expression lorsqu’il n’y a pas d’abus. A défaut, le licenciement est nul même si d’autres griefs énoncés dans la lettre de licenciement sont valables.

Rappel : Depuis le 18 décembre 2017, si le licenciement d’un salarié intervient sans que la procédure conventionnelle ou statutaire de consultation préalable au licenciement ait été respectée, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge accorde au salarié, à la charge de l’employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire (art. L. 1235-2 du Code du travail).
Avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, la Cour de cassation considérait qu’il s’agissait d’une garantie de fond dont le non-respect rendait le licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. Soc., 11 juillet 2000, n° 97-45.781) lorsque cela a privé le salarié des droits de sa défense ou lorsque cela est susceptible d’avoir exercé une influence sur la décision finale de licenciement par l’employeur (Cass. Soc., 8 septembre 2021, n° 19-15.039).
L’employeur est-il tenu d’informer le salarié de la possibilité de saisir le conseil de discipline prévue par la convention collective ?

Cass. soc., 29 juin 2022, n° 20-19.711

Le 16 février 2016, un salarié est licencié pour faute lourde. Il conteste son licenciement en justice. Il reproche à son employeur de ne pas l’avoir informé de la possibilité de saisir la commission paritaire prévue par la convention collective nationale des activités de marchés financiers du 11 juin 2010.

Cette commission paritaire « est compétente notamment pour formuler des avis en cas de licenciement individuel d’un salarié pour faute grave ou lourde, en se prononçant sur la qualification des fautes professionnelles invoquées ».

Aux termes de l’article 60 de la CCN, « le salarié licencié pour faute grave ou lourde a la faculté de la saisir, par lettre recommandée avec avis de réception, la commission (…) dans les 15 jours qui suivent la notification du licenciement, ce recours n’étant pas suspensif ».

La Cour d’appel fait droit à la demande du salarié et déclare le licenciement sans cause réelle et sérieuse, faute pour l’employeur d’avoir informé le salarié de la possibilité de saisir cette commission.

Saisie du pourvoi, la Cour de cassation censure cette décision.

Elle rappelle en premier lieu que « la consultation d’un organisme chargé, en vertu d’une disposition conventionnelle ou d’un règlement intérieur, de donner son avis sur un licenciement envisagé par un employeur constitue une garantie de fond, en sorte que le licenciement prononcé sans que cet organisme ait été consulté ne peut avoir de cause réelle et sérieuse ».

Elle poursuit en rappelant que « l’irrégularité commise dans le déroulement de la procédure disciplinaire prévue par une disposition conventionnelle ou un règlement intérieur, est assimilée à la violation d’une garantie de fond et rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse lorsqu’elle a privé le salarié de droits de sa défense ou lorsqu’elle est susceptible d’avoir exercé une influence sur la décision finale de licenciement par l’employeur ».

En l’espèce, la Cour a jugé que :

  • D’une part, la faculté de saisir la commission ayant pour mission de formuler un avis non suspensif sur le caractère « grave » ou « lourd » de la faute invoquée et non de se prononcer sur le principe du licenciement, ne constitue pas une garantie de fond ;
  • D’autre part, les stipulations de la CCN n’imposent pas à l’employeur d’informer le salarié de sa faculté de saisir la commission paritaire.

Il n’en résultait ni la violation d’une garantie de fond, ni une irrégularité commise dans le déroulement de la procédure disciplinaire prévue par une disposition conventionnelle, de sorte que la Cour d’appel a violé les dispositions de la CCN.

Note : Si la CCN ne l’impose pas, l’employeur n’est pas tenu d’informer le salarié de la possibilité de saisir la commission prévue en cas de licenciement.

Jurisprudence – Relations collectives

Rappel : Le comité social et économique (CSE) peut être consulté dans le cadre de ses attributions.
Sauf dispositions législatives spéciales, les délais de consultation peuvent être fixés par accord soit (art. L. 2312-16 du Code du travail) :
  • dans les conditions définies à l’article L. 2312-19 et à l’article L. 2312-55 ;
  • en l’absence de délégué syndical, entre l’employeur et le CSE ou, le cas échéant, le CSE central, adopté à la majorité des membres titulaires de la délégation du personnel du comité.
Un accord collectif de droit commun ou un accord entre le CSE et l’employeur peut  donc prolonger ces délais (Cass. Soc., 8 juillet 2020, n° 19-10.987).
A défaut d’accord, les délais sont fixés à l’article R2312-6 du Code du travail à savoir: 
  • 1 mois ;
  • 2 mois en cas d’intervention d’un expert ;
  • 3 mois en cas d’intervention d’une ou plusieurs expertises dans le cadre de consultation se déroulant à la fois au niveau du CSE central et d’un ou plusieurs CSE d’établissement.
A l’issue de ces délais, le CSE est réputé consulté et avoir rendu un avis négatif.
Dans le cadre de la consultation sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi mentionnée au 3° de l’article L. 2312-17, le CSE peut décider de recourir à un expert-comptable (art. L. 2315-91 du Code du travail).
L’expert remet son rapport au plus tard 15 jours avant l’expiration des délais de consultation du CSE mentionnés à l’article R. 2312-6 (art. R. 2315-47 du même code).
Lorsque le délai de consultation du CSE a été prolongé par accord, le comité peut-il voter le recours à une expertise le jour où il est réputé avoir émis un avis négatif et par conséquence, repousser le délai de consultation à 2 mois en application du délai réglementaire ?

Cass. Soc., 29 juin 2022, n° 21-11.077

Le 30 septembre 2020, le CSE central s’est réuni dans le cadre de la consultation sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi.

A cette occasion, la société a communiqué au CSE les informations suivantes :

  • le bilan de données économiques et sociales,
  • le bilan sur l’emploi des travailleurs handicapés pour l’année 2019,
  • le bilan intermédiaire de formation pour l’année 2020,
  • la présentation du rapport sur l’égalité professionnelle pour l’année 2019,
  • et la présentation commentée du bilan social pour l’année 2019.

En l’absence d’accord relatif aux délais de consultation applicable au sein de l’entreprise, le comité devait rendre son avis dans le délai d’un mois imparti.

Au cours de la réunion du 30 octobre 2020, l’avis du CSE n’a pas pu être recueilli, faute de temps pour aborder ce point à l’ordre du jour. Le CSE et l’employeur décident alors par accord de reporter le terme du délai de consultation au 12 novembre 2020. Lors de cette réunion du 12 novembre 2020, le CSE, s’estimant insuffisamment informé, vote le recours à un expert.

La société saisit le président du tribunal judiciaire d’une demande d’annulation de cette délibération.

La société fait valoir qu’en cas d’accord fixant le délai dans lequel le CSE doit rendre son avis, ce dernier est réputé avoir été consulté et avoir rendu un avis négatif à l’issue du délai de consultation. Dès lors, ce délai ne peut être repoussé par la décision du CSE de désigner un expert.

Le tribunal judiciaire n’est pas de cet avis et déboute la société de sa demande.

Le tribunal judiciaire estime que, du fait de la décision du CSE de recourir à un expert prise le 12 novembre 2020, soit le dernier jour du délai préfix de consultation fixé par accord, « la durée de consultation a été portée à deux mois avec effet rétroactif à compter du point de départ » de la consultation.

Saisie du pourvoi, la Cour de cassation annule le jugement du tribunal judiciaire après avoir rappelé les textes applicables en matière de délai de consultation.

Elle considère que « les dispositions de l’article R. 2312-6 n’ont vocation à s’appliquer qu’en l’absence d’accord collectif de droit commun ou d’un accord entre le comité social et économique et l’employeur fixant d’autres délais que ceux prévus à cet article ».

En l’espèce, elle a constaté que :

  • D’une part, les informations communiquées ou mises à disposition du comité le 30 septembre 2020 ont marqué le point de départ de la consultation ;
  • D’autre part, l’employeur et le CSE central avaient convenus par un commun accord de reporter le terme du délai de consultation au 12 novembre 2020.

Il s’en déduit « que cet accord excluait l’application des délais réglementaires fixés, à défaut d’accord, par l’article R. 2312-6 du code du travail et qu’au jour où il statuait, le délai étant échu, le comité était réputé avoir émis un avis négatif de sorte que l’expertise ne pouvait qu’être annulée ».

Note : La Cour de cassation considère pour la première fois à notre sens que lorsqu’un accord entre l’employeur et le CSE reporte le délai de consultation du CSE, l’application des délais de consultation réglementaires est exclue.

Seul un nouvel accord peut reporter ce délai, la désignation d’un expert ne permet pas de repousser le délai de consultation en application des dispositions réglementaires.

Législation et réglementation

Le projet de loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat a été présenté en Conseil des ministres le 7 juillet 2022.

Le texte devrait être examiné en séance publique à l’Assemblée nationale à partir du 18 juillet. Le texte est actuellement examiné par la commission des affaires sociales.

En matière de droit du travail, le projet de loi reprend les premiers éléments transmis aux partenaires sociaux le 24 juin 2022 en y apportant des précisions (Cf. actu-tendance n° 638).

Le contenu de ce projet peut encore évoluer jusqu’à la publication de la loi au JO.

La prime de pouvoir d’achat : Le texte envisage de pérenniser cette prime auparavant appelée PEPA ou « prime Macron ».

Dispositif pérenne : La prime pourrait être versée à compter du 1er août 2022. Il n’y a plus de date limite de versement, le dispositif ayant vocation à être pérenne.

Montant : Le texte envisage de tripler le montant de la prime à 3 000€, porté à 6 000€ si l’entreprise met en place un dispositif d’intéressement ou de participation.

En commission des affaires sociales, les députés ont adopté plusieurs amendements portant notamment sur :

  • la possibilité de fractionner le montant de la prime ;
  • la possibilité d’individualiser la prime en fonction de l’ancienneté du salarié ;
  • la consultation du CSE, et non plus seulement l’information du CSE, lorsque la prime est décidée de manière unilatérale.

Régime social et fiscal : L’exonération d’impôt sur le revenu, mais aussi de CSG et CRDS, s’applique aux primes versées entre le 1er août 2022 et le 31 décembre 2023, pour les seuls salariés dont la rémunération annuelle est inférieure à 3 fois le Smic.

A compter du 1er janvier 2024, la prime serait a priori soumise à l’impôt sur le revenu et à la CSG/CRDS.

En cas de cumul entre la prime Macron et la nouvelle prime, le montant total exonéré d’impôt sur le revenu au titre des revenus de l’année 2022 ne pourrait excéder 6 000€.

Par ailleurs, dès 2022, la prime serait exonérée de toutes « cotisations sociales d’origine légale ou conventionnelle à la charge du salarié et de l’employeur », dans la limite des plafonds de 3 000 ou 6 000 €, quel que soit le niveau de rémunération du salarié. La condition de rémunération inférieure à 3 fois la valeur annuelle du Smic qui figurait dans l’avant-projet de loi a été supprimée.

L’intéressement :

Durée augmentée : Le projet de loi prévoit toujours que l’intéressement serait mis en place pour une durée maximale de 5 ans. Actuellement, cette durée est comprise entre 1 et 3 ans.

Mise en place par décision unilatérale facilitée dans les entreprises de moins de 50 salariés

  • dépourvues de délégué syndical (DS) ou de CSE, à la condition qu’elles ne soient pas couvertes par un accord de branche agréé. L’employeur en informerait alors les salariés par tout moyen ;
  • pourvues d’au moins un DS ou de CSE, en cas d’échec de la négociation d’un accord d’intéressement, à la condition qu’elles ne soient pas couvertes par un accord de branche agréé. Dans cette hypothèse, un procès-verbal de désaccord devrait être établi, dans lequel seraient consignées en leur dernier état les propositions respectives des parties. Par ailleurs, le CSE devrait être consulté sur le régime d’intéressement au moins 15 jours avant son dépôt.

Le renouvellement du dispositif d’intéressement par décision unilatérale serait aussi autorisé.

Dispositif d’intéressement type : Le projet de loi prévoit également une procédure dématérialisée de rédaction des accords ou décisions unilatérales d’intéressement sur le site www.moninteressement.urssaf.fr.  

Contrôle de forme supprimé : le projet de loi supprime le contrôle de forme opéré par l’administration afin de raccourcir d’un mois les délais de contrôle préalable.

Restructuration des branches : Le texte vise à compléter les dispositions de l’article L. 2261-32 du Code du travail. Un nouveau critère permettrait au Ministère du travail de fusionner des branches au regard de la faiblesse du nombre d’accords assurant aux salariés sans qualification des minima conventionnels au niveau du Smic. 

L’objectif est d’inciter les branches à négocier sur les salaires minima.

Note : Les différentes mesures relatives au transport prévues dans la version antérieure du projet de texte (hausse du plafond annuel d’exonération de la prise en charge par l’employeur des frais de carburant engagés par les salariés pour leurs déplacements domicile-travail et du plafond d’exonération commun au forfait mobilités durables et à la prime de transport) ne figurent plus dans le projet de loi présenté en Conseil des ministres.

Annoncée par la Première ministre dans le cadre de son discours de politique générale, l’indemnité carburant a été intégrée au projet de loi de finances rectificative pour 2022.

Le texte a été présenté en Conseil des ministres le 7 juillet dernier. Il est actuellement examiné par la commission des Finances de l’Assemblée nationale et sera à l’ordre de la séance publique du 21 juillet prochain.   

Selon le dossier de presse accompagnant le projet, cette prime serait attribuée aux salariés les plus modestes se rendant sur leur lieu de travail en voiture. Son montant annuel varierait entre 100 et 300€ par véhicule et par actif.

L’aide serait « modulée selon le niveau de revenus et la composition du ménage et comportera un « bonus » pour les personnes qui habitent à plus de 30 km de leur lieu de travail ou parcourent plus de 12 000 km par an dans le cadre professionnel ».

Ces dispositions seront précisées par décret. Selon l’annonce du Gouvernement, cette mesure devrait entrer en vigueur le 1er octobre prochain.

Note : En commission des Finances, les députés ont adopté un amendement qui relève le plafond de défiscalisation des heures supplémentaires de 5000€ à 7000€ au titre de l’année 2022.