Actu-tendance n° 635

Jurisprudence – Relations collectives

Rappel : Les élections professionnelles peuvent avoir lieu par vote électronique (art. L. 2314-26 du Code du travail).
Sauf accord contraire, l’élection a lieu pendant le temps de travail (art. L. 2314-27 du Code du travail).
L’élection peut être réalisée par vote électronique sur le lieu de travail ou à distance. Un cahier des charges respectant les dispositions des articles R. 2314-6 et suivants du Code du travail est établi dans le cadre de l’accord ou, à défaut, par l’employeur (art. R. 2314-5 du même Code).
Le système retenu assure la confidentialité des données transmises, notamment de celles des fichiers constitués pour établir les listes électorales des collèges électoraux, ainsi que la sécurité de l’adressage des moyens d’authentification, de l’émargement, de l’enregistrement et du dépouillement des votes (art. R. 2314-6 du même code).
Le recours au vote électronique ne permet pas de déroger aux principes généraux du droit électoral (Soc. 3 octobre 2018, n° 17-29.022, publié).
L’employeur qui, alerté sur le fait que certains salariés travaillant hors des locaux de l’entreprise n’ont pas accès au matériel de vote, leur interdit, pour des raisons de confidentialité, d’utiliser un ordinateur de la société ou un appareil personnel au sein de l’entreprise, porte-t-il atteinte au principe général d’égalité face à l’exercice du droit de vote justifiant l’annulation des élections ?

Cass. Soc., 1er juin 2022, n° 20-22.860

Dans cette affaire, deux syndicats saisissent le Tribunal judiciaire pour faire annuler les élections ayant eu lieu par vote électronique en application d’une décision unilatérale de l’employeur.

Les syndicats soutiennent que certains salariés (les distributeurs) n’ont pas pu voter aux élections, ces derniers ne disposant ni de bureau ni de poste de travail au sein de l’entreprise.

L’employeur leur avait même interdit, pour des raisons de confidentialité, l’utilisation :

  • d’une part, des ordinateurs de la société ;
  • d’autre part, d’un ordinateur personnel au sein de l’entreprise.

Pour les syndicats, l’employeur n’avait pas permis à ces salariés l’accès à un matériel leur permettant d’exercer leur droit de vote.

Le Tribunal judiciaire fait droit à leur demande et annule les élections au CSE estimant que l’employeur avait porté atteinte à l’égalité des salariés face à l’exercice du droit de vote.

Saisie du pourvoi, la Cour de cassation confirme la décision rendue par le Tribunal judiciaire annulant les élections.

Pour la Haute juridiction, l’employeur n’avait pas l’assurance que «l’ensemble de ses salariés pourraient avoir accès à un matériel permettant d’exercer leur droit de vote » et ne justifiait pas « de ce qui l’empêchait de mettre en place des procédés permettant de pallier le défaut d’accès de ses distributeurs au matériel de vote, comme, par exemple, la mise en place dans ses établissements des terminaux dédiés au vote électronique avec un protocole garantissant la sécurité et la confidentialité des votes ».

Les juges en ont déduit « que la société n’avait pas pris les précautions appropriées pour que ne soit écartée du scrutin aucune personne ne disposant pas du matériel nécessaire ou résidant dans une zone non desservie par internet ».

Il en résulte « une atteinte au principe général d’égalité face à l’exercice du droit de vote, constituant à elle seule une cause d’annulation du scrutin, quelle que soit son incidence sur le résultat ».

Note : Dans le cadre des élections professionnelles par vote électronique, l’employeur doit veiller à ce que tous les salariés de l’entreprise puissent voter, ce qui lui impose de mettre à disposition des salariés le matériel nécessaire.

Rappel : Le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles au sein de l’entreprise ou du groupe.
Le reclassement du salarié s’effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d’une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l’accord exprès du salarié, le reclassement s’effectue sur un emploi d’une catégorie inférieure (art. L. 1233-4 du Code du travail).
Les modalités de diffusion des offres de reclassement aux salariés ont évolué depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.
Depuis le 22 décembre 2017, l’employeur peut adresser aux salariés menacés de licenciement économique une ou plusieurs offres de reclassement personnalisées ou encore diffuser une liste de postes disponibles à l’ensemble des salariés concernés.
Pour les procédures de licenciement engagées avant cette date, l’employeur ne disposait pas d’un tel choix : il devait adresser à chacun des salariés concernés des offres de reclassement précises, concrètes et personnalisées (Cass. Soc., 18 janvier 2005 n° 02-46.737).
L’employeur peut-il proposer à plusieurs salariés la même offre de reclassement ? L’employeur doit-il préciser dans l’offre le processus décisionnel d’attribution du poste si plusieurs salariés se portent candidats sur la même offre ?

Cass. Soc. 11 mai 2022, n° 21-15.250

Une société a mis en œuvre un projet de restructuration et de réduction des effectifs entraînant la suppression de 7 postes de travail.

Un salarié, licencié pour motif économique en octobre 2017, conteste son licenciement devant le Conseil de prud’hommes. Selon lui, son employeur a manqué à son obligation de reclassement. Il lui reproche d’avoir proposé la même offre de reclassement à plusieurs salariés.

En l’espèce, le courrier adressé par l’employeur au salarié invite ce dernier « à faire part de son intérêt » pour l’un des postes proposés

La Cour d’appel fait droit à la demande du salarié et juge son licenciement sans cause réelle et sérieuse reprochant à l’employeur de n’avoir donné au salarié « aucune indication sur le processus décisionnel d’attribution d’un poste de reclassement éventuellement demandé par le salarié ».

Pour les juges d’appel, la décision d’accepter ou non un poste de reclassement ne relève de la volonté que du seul salarié. L’employeur ne peut subordonner l’attribution d’un poste à un processus de recrutement.

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel au visa de l’article L. 1233-4 du Code du travail, dans sa rédaction en vigueur au litige, estimant que la Cour a ajouté à la loi une condition qu’elle ne prévoit pas.

La Haute juridiction considère que l’employeur a l’obligation de proposer aux salariés concernés par le projet de licenciement tous les postes disponibles susceptibles de répondre aux conditions prévues par le Code du travail, quand bien même cela le conduit à proposer le même poste à plusieurs salariés.

Note : La Cour de cassation a déjà admis la possibilité pour l’employeur de proposer un même poste de reclassement à plusieurs salariés (Cass. Soc., 19 janvier 2011, n° 09-42.736).

Il convient de rappeler que l’employeur a l’obligation de proposer aux salariés menacés par un licenciement pour motif économique tous les postes disponibles correspondant à leurs aptitudes et leurs compétences. Il peut donc être amené à proposer un même poste de travail à plusieurs salariés.

Si plusieurs salariés se portent candidats pour le même poste, l’employeur doit ensuite les départager en s’appuyant sur des critères objectifs.

Cette solution est, selon nous, transposable à la procédure de transmission des offres personnalisées applicable depuis le 22 décembre 2017.

En revanche, lorsque l’employeur opte pour la diffusion d’une liste de postes, le Code du travail impose déjà à l’employeur de préciser dans la liste les critères de départage entre salariés en cas de candidatures multiples sur un même poste, ainsi que le délai dont dispose le salarié pour présenter sa candidature écrite (art. D. 1233-2-1 du Code du travail).

Rappel : Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques.
Les difficultés économiques sont caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés (art. L. 1233-3 du Code du travail).
Une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à :
a) Un trimestre pour une entreprise de moins de 11 salariés ;
b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins 11 salariés et de moins de 50 salariés ;
c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins 50 salariés et de moins de 300 salariés ;
d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de 300 salariés et plus ;
Une légère hausse du chiffre d’affaires sur un trimestre permet-elle d’écarter la notion de difficultés économiques ?

Cass. Soc. 1er juin 2022, n° 20-19.957

Dans une entreprise qui emploie plus de 300 salariés, une procédure de licenciement économique collectif est engagée au second trimestre 2017 en raison de difficultés économiques.

La société met en avant une baisse de son chiffre d’affaires. Une salariée, licenciée pour motif économique, saisit le Conseil de prud’hommes et conteste la réalité du motif économique.

La Cour d’appel la déboute de sa demande après avoir constaté un recul de 4 trimestres consécutifs de chiffre d’affaires sur l’année 2016 par rapport à l’année 2015.

Les juges d’appel ne tiennent pas compte de « la modeste augmentation de 0,50 % du chiffre d’affaires du premier trimestre 2017 par rapport à celui de 2016 » qui selon eux, « n’était pas suffisante pour signifier une amélioration tangible des indicateurs ».

La Cour de cassation censure cette décision en rappelant notamment que :

  • selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, le juge doit se placer à la date du licenciement pour apprécier le motif de celui-ci ;
  • la baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires doit s’apprécier en comparant le niveau des commandes ou du chiffre d’affaires au cours de la période contemporaine de la notification de la rupture du contrat de travail par rapport à celui de l’année précédente à la même période ;
  • la procédure de licenciement économique collectif ayant été engagée au second trimestre 2017, l’appréciation des difficultés économiques doit se faire au regard de l’évolution d’un des indicateurs énumérés par l’article L. 1233-3 du Code du travail connus à ce moment-là.

La Cour de cassation censure la décision d’appel estimant qu’elle n’avait pas caractérisé de difficultés économiques, « la durée de la baisse du chiffre d’affaires, en comparaison avec la même période de l’année précédente, n’égalait pas quatre trimestres consécutifs précédant la rupture du contrat de travail pour cette entreprise de plus de 300 salariés ».

Note : Pour apprécier les difficultés économiques justifiant un licenciement pour motif économique, il convient de se placer à la date de rupture des contrats de travail. La baisse significative du chiffre d’affaires s’apprécie en comparant son montant au cours de la période contemporaine de la notification de la rupture du contrat de travail par rapport à celui de l’année précédente à la même période. Une hausse même légère de ce chiffre suffit à écarter les difficultés économiques.

Rappel : Lorsqu’il est consulté sur un projet de licenciement économique concernant au moins 10 salariés sur une même période de 30 jours, le CSE peut décider de recourir à une expertise (art. L. 1233-34 du Code du travail).
La mission de l’expert est encadrée par des délais.
L’expert doit demander à l’employeur toutes les informations qu’il juge nécessaires au plus tard dans les 10 jours de sa désignation. L’employeur doit lui répondre dans les 8 jours (art. L. 1233-35 du Code du travail). L’expert remet son rapport au CSE et, le cas échéant, aux organisations syndicales, au plus tard 15 jours avant l’expiration du délai qui lui est imparti pour rendre son avis.
Une demande d’injonction peut être adressée à l’administration si l’expert estime ne pas avoir reçu de la part de l’employeur toutes les informations nécessaires pour effectuer sa mission (art. L. 1233-57-5 du Code du travail).
Lorsque l’assistance d’un expert-comptable a été demandée, l’administration doit s’assurer que l’expert a pu exercer sa mission dans des conditions permettant au CSE de formuler ses avis en toute connaissance de cause (CE, 21 octobre 2015, n° 382633).
L’homologation du PSE doit-elle être annulée si l’administration ne justifie pas avoir effectué un réel contrôle des conditions dans lesquelles l’expert a pu exercer sa mission ?

CAA Versailles, 17 mai 2022, n° 22VE00604

Un CSE a saisi la juridiction administrative d’une demande d’annulation de la décision d’homologation du document unilatéral portant PSE, faute pour l’administration d’avoir contrôlé les conditions dans lesquelles l’expert-comptable a pu exercer sa mission.

La Cour administrative d’appel lui donne raison et annule l’homologation. Elle rappelle « qu’il appartient à l’administration de s’assurer, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, que la procédure d’information et de consultation du comité social et économique a été régulière ».

Dès lors, l’administration « ne peut légalement accorder l’homologation demandée que si le CSE a été mis à même d’émettre régulièrement un avis ».

Ainsi, « lorsque l’assistance d’un expert-comptable a été demandée(…), l’administration doit également s’assurer, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, que celui-ci a pu exercer sa mission dans des conditions permettant au comité social et économique de formuler ses avis en toute connaissance de cause ».

En l’espèce, le CSE a refusé à 2 reprises de rendre un avis en raison notamment de « l’insuffisance manifeste de l’information communiquée ».

Il ressort également des pièces du dossier que le cabinet d’expert « a estimé ne pas être en mesure de rendre de rapport d’expertise compte tenu notamment des carences de l’employeur dans la transmission des informations demandées ».

En l’espèce, la Cour administrative d’appel a relevé que l’expert-comptable avait rencontré des difficultés pour mener à bien sa mission. Il avait formulé près de 50 questions à l’employeur, restées sans réponse.

Or, dans le cadre de son contrôle, l’administration s’est contentée de viser notamment l’absence de remise de rapport d’expertise sur le projet de réorganisation.

Dès lors, l’administration ne justifiait pas avoir effectué un réel contrôle des conditions dans lesquelles l’expert a pu exercer sa mission, et par suite, des conditions dans lesquelles le CSE a émis ses avis. Il en résulte que la décision d’homologation du document contenant le PSE doit être annulée.

La cour a écarté l’argument de la défense tiré de l’absence de demande d’injonction formulée par le CSE auprès de l’administration en vue d’obtenir des informations supplémentaires.

Note : Il s’agit d’un arrêt d’appel qui nécessite une confirmation de la Cour de cassation.

Législation et réglementation

La Direction Générale du Travail (DGT) a transmis le 31 mai 2022 à ses services une nouvelle instruction relative à la gestion des vagues de chaleur.

Comme chaque année, cette instruction est valable du 1er juin au 15 septembre. Son contenu est assez similaire à l’instruction publiée pour la saison 2021.

L’instruction demande aux inspecteurs du travail notamment :

  • de rappeler aux employeurs qu’ils doivent évaluer les risques liés aux ambiances thermiques et les intégrer au DUERP ;
  • de rappeler aux employeurs qu’il est interdit d’affecter des jeunes aux travaux les exposant à des températures extrêmes susceptibles de nuire à leur santé ;
  • d’inciter les employeurs à adapter une organisation du travail en prévision de fortes chaleurs ;
  • de mobiliser les services de santé au travail afin d’aider les employeurs dans la mise en œuvre des mesures nécessaires à la protection des salariés ;
  • de prévoir des contrôles ciblés sur les secteurs d’activité les plus concernés, en particulier le BTP, et d’appliquer des sanctions administratives ou pénales le cas échéant ;
  • de transmettre systématiquement et immédiatement à la DGT les informations relatives aux accidents du travail graves ou mortels.