Actu-tendance n° 628

Jurisprudence – Relations individuelles

Rappel : Toute personne dispose de la liberté de choisir son domicile (Cass. Soc., 28 février 2012, n° 10-18.308).
Toutefois, l’employeur est autorisé à insérer dans le contrat de travail une clause de domicile imposant au salarié de résider dans un certain périmètre autour de son lieu de travail.
Cette clause est admise à condition qu’elle soit justifiée par la nature des tâches à accomplir et proportionnée au but recherché (Cass. Soc., 18 février 2012, n° 10-18. 308).
Depuis la pandémie et le développement du télétravail, certains salariés ont décidé de déménager et de s’éloigner géographiquement de leur lieu de travail.
Un employeur peut-il licencier un salarié, en application de l’obligation de sécurité, pour avoir déménagé à une très longue distance de son lieu de travail en l’absence de clause de domicile insérée dans le contrat de travail ?

CA Versailles., 10 mars 2022, n° 20/02208

Un salarié, responsable support technique, déménage en Bretagne, à environ 450 km de son lieu de travail situé en région parisienne. Son contrat de travail ne contient pas de clause de domicile.

Estimant que le lieu du nouveau domicile n’est pas compatible avec son obligation de sécurité en matière de santé des salariés et avec les déplacements professionnels induits par l’activité du salarié, l’employeur lui demande de revenir s’établir en région parisienne.

Ayant refusé, le salarié est licencié pour ce motif.

Le salarié conteste cette décision :

  • en invoquant une atteinte à sa liberté de choix du domicile garantie par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme ;
  • en faisant valoir que ce changement de domicile n’a entraîné ni retard ni demande de prise en charge des frais induits par cette installation ;
  • au motif qu’il passe moins de 17 % de son temps au siège de l’entreprise, le reste constituant des déplacements professionnels.

La Cour d’appel ne retient pas ces arguments et admet que le salarié a commis une faute en refusant de revenir s’établir à proximité de son lieu de travail.

Pour les juges, aucune atteinte disproportionnée au libre choix du domicile n’apparaît caractérisée compte tenu de l’obligation essentielle de préservation de la santé et de la sécurité du salarié.

Les juges mettent en balance d’une part l’obligation de santé et de sécurité prévue par le Code du travail qui incombe à l’employeur et d’autre part la liberté du choix du domicile garantie par le Droit européen. Selon la Cour d’appel de Versailles, c’est le premier qui doit primer.

Pour les juges, le temps de trajet du salarié pour se rendre au travail a été allongé puisqu’il est contraint d’assumer 4h30 de trajet par la route ou 3h30 de train, ce qui est source de fatigue.

Ils en ont déduit que la distance excessive séparant son lieu de travail de son domicile ne peut être acceptée par l’employeur compte tenu de son obligation de sécurité issue de l’article L. 4121-1 du Code du travail, mais également de celle incombant au salarié au titre de l’article L. 4122-1 du même Code.

Note : Il est de jurisprudence constante que l’employeur est tenu envers ses salariés à une obligation de santé et de sécurité (Cass. Soc., 8 octobre 2020, n° 18-25.021), dont il doit en assurer l’effectivité (Cass. Soc., 20 mars 2013, n° 12-14.468).

Sur la question du licenciement lié au refus du salarié de revenir vivre à proximité du lieu de travail pour des raisons de santé, il s’agit, à notre connaissance, de la première décision sur le sujet qui nécessite une confirmation par la Cour de cassation.

On peut légitimement penser que c’est la distance excessive entre le lieu de travail et le domicile du salarié qui a conduit à cette décision. Une distance ou une durée de trajet moins importante n’aurait probablement pas amené les juges du fond à prendre une telle décision.

On peut également se demander si les juges auraient pris une telle décision pour des postes entièrement télétravaillables, ce qui n’était pas le cas pour le salarié en cause.

Rappel : Toute heure accomplie au-delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent (art. L. 3121-28 du Code du travail).
En droit français, la Cour de cassation estime de manière constante qu’en l’absence de dispositions légales ou conventionnelles, les congés payés ne sont pas du temps de travail effectif. Ils ne peuvent dès lors être intégrés dans le décompte au titre des heures supplémentaires (Cass. Soc., 25 janvier 2017, n° 15-20.692).
Cette jurisprudence va-t-elle être amenée à évoluer sous l’impulsion de la décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) ? 

CJUE, 13 janvier 2022, aff. C-514/20

Comme en droit français, une convention collective allemande prévoit que les heures correspondant à la période de congé annuel payé ne sont pas prises en compte en tant qu’heures de travail accomplies pour déterminer si le seuil des heures travaillées donnant droit à majoration pour heures supplémentaires est atteint.

En l’espèce, un salarié travaille au cours du mois d’août 2017 13 jours (121,75h) puis prend les 10 jours restant de congés payés (équivalent à 84,7h s’il avait travaillé).

Considérant qu’il doit être tenu compte des jours de congés payés pour déterminer le nombre des heures travaillées, le salarié saisit les juridictions allemandes pour solliciter le paiement d’un rappel de salaires, une majoration de 25% pour 22,45h pour les heures dépassant le seuil des heures supplémentaires fixé à 184 heures.

La CJUE écarte la disposition de la CCN allemande considérant que toute pratique ou omission d’un employeur ayant un effet potentiellement dissuasif sur la prise du congé annuel par un travailleur est incompatible avec la finalité du droit au congé annuel payé.

En effet, la prise de jours de congés payés, non comptabilisés pour l’atteinte du seuil des heures supplémentaires, entraine une diminution du salaire du fait de la suppression de la majoration prévue pour les heures supplémentaires accomplies. Cette mesure est de nature à dissuader le travailleur d’exercer son droit à congé annuel payé.

Note : La CJUE applique sa jurisprudence. En effet, elle a déjà jugé que toute pratique ou omission d’un employeur ayant un effet potentiellement dissuasif sur la prise du congé annuel par un travailleur est incompatible avec la finalité du droit au congé annuel payé (CJUE, 6 novembre 2018, aff. C‑619/16). A titre d’exemple, un désavantage financier résultant de la prise du congé peut caractériser un effet dissuasif (CJUE, 13 décembre 2018, aff. C‑385/17).

La jurisprudence de la Cour de cassation pourrait être amenée à évoluer sous l’influence du juge européen.

Rappel : En cas de succession d’employeurs, la maladie professionnelle doit être considérée comme contractée au service du dernier employeur chez lequel la victime a été exposée au risque, avant sa constatation médicale, sauf à cet employeur à rapporter la preuve contraire (Cass. 2e civ., 22 novembre 2005, n° 04-11.447).
L’employeur peut-il contester l’opposabilité de la décision de prise en charge par la CPAM d’une maladie au titre de la législation professionnelle au motif qu’elle est apparue alors que le salarié était au service d’un autre employeur ?

Cass. 2ème civ., 17 mars 2022, nº 20-19.294

Une salariée déclare une maladie professionnelle accompagnée d’un certificat médical faisant état d’une périarthrite scapulo-humérale de l’épaule droite.

La Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) prend en charge cette pathologie au titre du tableau n° 57 des maladies professionnelles.

Contestant cette décision, l’employeur saisit la juridiction de sécurité sociale estimant que cette décision ne lui était pas opposable puisque la pathologie est apparue à une époque où la victime n’était pas sa salariée.

La Cour d’appel fait droit à sa demande après avoir relevé que la victime a été exposée au risque du tableau n° 57 des maladies professionnelles alors qu’elle travaillait auprès d’un autre employeur.

La Cour de cassation casse cette décision sur le fondement des articles L. 461-1, R. 441-11 et R. 441-14 du Code de la sécurité sociale.

Elle considère qu’au soutien « de son action aux fins d’inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie au titre de la législation professionnelle, l’employeur ne peut se prévaloir que de l’irrégularité de la procédure d’instruction conduite par la caisse ou de l’absence de caractère professionnel de cette pathologie ».

Elle précise que « le défaut d’imputabilité à l’employeur de la maladie professionnelle qui n’a pas été contractée à son service n’est pas sanctionné par l’inopposabilité de la décision de prise en charge ».

Autrement dit, l’employeur ne peut solliciter l’inopposabilité de la décision de la caisse en invoquant le fait que la pathologie est apparue à une époque où la victime n’était à son service.

Note : La prise en charge d’une maladie professionnelle ne prive pas l’employeur à laquelle elle est opposable de la possibilité, en démontrant qu’elle n’a pas été contractée à son service, d’en contester l’imputabilité si une faute inexcusable lui est reprochée ou si les cotisations d’accident du travail afférentes à cette maladie sont inscrites à son compte (Cass. 2e civ., 19 décembre 2013, nº 12-19.995).

Jurisprudence – Relations collectives

Rappel : Un syndicat est représentatif s’il remplit les 7 critères fixés à l’article L. 2121-1 du Code du travail dont notamment la transparence financière.
Un syndicat est soumis à des obligations comptables définies à l’article L. 123-12 du Code de commerce en fonction de ses ressources et notamment à la publication de ses comptes (art. L. 2135-1 et L. 2135-5 du Code du travail).
Lorsque les ressources annuelles n’excèdent pas 230 000€, le syndicat :
  • peut adopter une présentation simplifiée de ses comptes avec la possibilité de n’enregistrer ses créances et ses dettes qu’à la clôture de l’exercice (art. L. 2135-1 du Code du travail). Cette présentation simplifiée prend la forme d’un bilan, d’un compte de résultat et d’une annexe simplifiés, selon des modalités fixées par règlement de l’Autorité des normes comptables. Il peut n’enregistrer ses créances et ses dettes qu’à la clôture de l’exercice (art. D. 2135-3 du Code du travail) ;
  • assure la publicité de ses comptes dans un délai de 3 mois à compter de leur approbation par l’organe délibérant statutaire soit dans les conditions prévues à l’article D.2135-7, soit par publication sur leur site internet ou, à défaut de site, en direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (art. D.2135-8 du Code du travail).
Un syndicat représentatif qui ne remplit pas ses obligations en matière de publicité de ses comptes peut-il valablement signer un accord collectif majoritaire relatif au contenu d’un Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) ?

CE., 6 avril 2022, n° 444460

Dans cette affaire, un accord collectif fixant le contenu d’un PSE, signé par l’employeur et 2 organisations syndicales, est validé par la DIRECCTE (devenue DREETS).

Un syndicat et un salarié saisissent le juge administratif pour faire annuler la décision de validation de l’accord. Ils estiment que l’un des signataires de l’accord n’a pas qualité pour le signer, dans la mesure où il ne répond pas aux critères de représentativité fixés par la loi, faute d’avoir régulièrement publié ses comptes.

La Cour administrative d’appel fait droit à leur demande et annule la décision de validation de l’accord collectif relatif au PSE considérant « qu’il appartient à l’administration, saisie d’une demande de validation d’un accord d’entreprise portant plan de sauvegarde de l’emploi de vérifier (…) que l’accord d’entreprise qui lui est soumis a été régulièrement signé pour le compte d’une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins 50 % des suffrages exprimés en faveur d’organisations reconnues représentatives lors du premier tour des dernières élections professionnelles au sein de l’entreprise ».

Par conséquent, il incombe aux juges « de vérifier que le ou les syndicats signataires satisfont aux critères de représentativité énoncés par l’article L. 2121-1 du code du travail, dont celui de la transparence financière ».

Saisi d’un pourvoi, le Conseil d’État précise que « le respect de l’obligation de publicité des comptes (…) doit être regardé, pour les organisations qu’elles concernent, comme une des conditions à remplir pour répondre au critère de transparence financière requis pour établir leur représentativité, sauf à ce qu’elles puissent faire état de l’accomplissement de cette obligation de publicité par des mesures équivalentes ».

En l’espèce, les juges ont relevé que le syndicat n’a publié sur son site internet, au titre du dernier exercice clos ayant précédé la signature de l’accord, ainsi que, d’ailleurs, des 2 exercices l’ayant précédé, que ses bilans simplifiés. Les comptes de résultats simplifiés ainsi que le tableau annexe de ses ressources n’ont quant à eux fait l’objet d’aucune publicité. Par ailleurs, il n’a pas été constaté que le syndicat aurait mis en œuvre des mesures de publicité équivalentes.

Le Conseil d’Etat en déduit que le syndicat ne remplit pas le critère de transparence financière requis par l’article L. 2121-1 du Code du travail. Dès lors, l’accord n’est pas valable et ne peut être légalement validé par l’Administration.

Note : Lors de la signature d’un accord portant PSE, il est recommandé à l’employeur de vérifier si les syndicats signataires remplissent les critères de représentativité fixés à l’article L. 2121-1 du Code du travail afin d’éviter un refus de validation voire une annulation de la décision de validation en justice.

Législation et réglementation

Le décret du 19 avril 2022 a créé un nouveau tableau de maladie professionnelle pour reconnaître le cancer de la prostate lié à l’exposition aux pesticides en tant que maladie professionnelle du régime général.

Le décret définit le terme « pesticides » comme étant les produits à usages agricoles et les produits destinés à l’entretien des espaces verts (produits phytosanitaires ou produits phytopharmaceutiques) ainsi que les biocides et antiparasitaires vétérinaires, qu’ils soient autorisés ou non au moment de la demande.

La liste des travaux pris en compte est la suivante :

  • manipulation ou emploi de ces produits par contact ou inhalation ;
  • contact avec les cultures, les surfaces, les animaux traités ou l’entretien des machines destinés à l’application des pesticides ;
  • fabrication, production, stockage, conditionnement des pesticides ;
  • réparation et nettoyage des équipements de production, conditionnement et application des pesticides ;
  • opérations de dépollution, de collecte et gestion des déchets de pesticides.

L’exposition doit avoir eu lieu au moins 10 ans. La reconnaissance peut intervenir 40 ans après l’exposition.

L’ordonnance du 13 avril 2022 portant adaptation des dispositions relatives à l’activité réduite pour le maintien en emploi, appelée également « Activité Partielle de Longue Durée » (APLD), prolonge la période d’accès au dispositif.

Cette ordonnance reporte du 30 juin au 31 décembre 2022 la date jusqu’à laquelle les entreprises souhaitant bénéficier du dispositif peuvent transmettre à l’Administration des accords collectifs et documents unilatéraux pour validation ou homologation.

Pour les entreprises déjà bénéficiaires de l’APLD, des avenants de révision des accords collectifs ou des documents adaptant les documents unilatéraux peuvent être transmis à l’autorité administrative après le 31 décembre 2022.

Pour mémoire, le décret n° 2022-508 du 8 avril 2022 a prolongé de 12 mois la durée du bénéfice du dispositif. Sa durée peut être désormais de 36 mois, consécutifs ou non, sur une période de 48 mois.

Le dispositif d’APLD pourra donc être mobilisé jusqu’au 31 décembre 2026 au plus tard. C’est ce que précise le Ministère du travail dans la dernière version du Questions-Réponses (QR) en date du 14 avril 2022 dédié au dispositif.

Toutefois, à compter du 1er janvier 2023, les entreprises ne pourront plus transmettre à l’Administration des accords ou des documents unilatéraux. En revanche, celles qui sont déjà engagées dans le dispositif pourront conclure des avenants à leurs accords d’entreprise et modifier leurs documents unilatéraux.

Les entreprises qui ont mis en place le dispositif avant l’entrée en vigueur de cette ordonnance et qui souhaitent bénéficier de ces prolongations devront conclure un avenant ou élaborer un document d’adaptation de leur document unilatéral, précise le Ministère du Travail dans son Q/R.