Actu-tendance n° 627

Jurisprudence – Relations individuelles

Rappel : En principe, le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif.
Toutefois, s’il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l’objet d’une contrepartie soit sous forme de repos, soit sous forme financière (art. L. 3121-4 du Code du travail).
Le Code du travail ne fixe pas le montant de cette contrepartie ni le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail.
Il revient aux juges du fond lorsqu’aucune contrepartie n’est prévue dans le contrat de travail de fixer cette dernière (Cass. Soc., 15 mars 2017, n° 15-22.359).
Le juge peut-il apprécier le caractère suffisant d’une contrepartie versée à un salarié itinérant par l’employeur pour les temps de déplacement professionnel dépassant le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail ?

Cass. Soc., 30 mars 2022, n° 20-15.022

Un syndicat conteste la validité du système de contreparties au temps de déplacement professionnel dépassant le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail mis en place par l’employeur pour les salariés itinérants (ceux ne travaillant pas habituellement au sein de leur agence de rattachement).

En l’espèce, ce système prévoyait un temps de déplacement excédentaire non indemnisé de près de 2h avant le déclenchement d’une contrepartie.

La Cour d’appel fait droit à sa demande estimant que les compensations accordées par l’employeur étaient déconnectées des temps normaux de trajet.

Pour sa défense, l’employeur soutient notamment qu’il n’est pas de la compétence du juge d’apprécier le caractère suffisant de la contrepartie.

La Cour de cassation n’est pas de cet avis et confirme l’arrêt d’appel sur le fondement de l’article L. 3121-4 du Code du travail précité.

La Haute juridiction rappelle à l’employeur que la circonstance selon laquelle certains salariés ne travaillent pas habituellement au sein de leur agence de rattachement ne le dispense pas « de respecter à leur égard les dispositions de l’article L. 3121-4 ».

Pour les salariés itinérants, le lieu habituel de travail est défini comme « le lieu où se situe son agence de rattachement si tant est que celle-ci se situe à une distance raisonnable de son domicile, de façon que le temps de trajet ainsi déterminé soit équivalent au temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail d’un salarié dans la région considérée ».

Dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, les juges d’appel ont estimé à bon droit que les compensations accordées par la société étaient dérisoires, de sorte que l’employeur méconnaissait les dispositions de l’article L. 3121-4 du Code du travail.

L’employeur est donc condamné à « mettre en place un système de contreparties déterminées, région par région, en fonction du temps normal de trajet entre le domicile du salarié et le lieu habituel de travail qu’elle avait défini ».

Note : La Cour de cassation a déjà retenu l’obligation pour l’employeur d’appliquer aux salariés itinérants l’article L. 3121-4 du Code du travail (Cass. Soc., 4 mai 2011, n° 09-67.972).

Dans cet arrêt, la Cour apporte des précisions supplémentaires sur le calcul du temps normal de trajet d’un salarié itinérant.

Dans une analyse intitulée « Les temps de déplacement entre domicile et travail », la Dares a identifié que le temps de trajet moyen domicile-travail est de 50 minutes par jour (aller-retour) au niveau national et 68 minutes en région parisienne. Le temps de trajet non indemnisé de près de 2h dans l’arrêt d’espèce était donc trop important.

Rappel : Sauf atteinte excessive au droit du salarié au respect de sa vie personnelle et familiale ou à son droit de repos, l’instauration d’une nouvelle répartition du travail sur la journée relève du pouvoir de direction de l’employeur (Cass. Soc., 23 janv. 2013, n° 11-22.364).
En revanche, dans certains cas, le changement des horaires de travail constitue une modification du contrat de travail qui nécessite l’accord du salarié. Ainsi, le passage d’un horaire continu à un horaire discontinu constitue une modification du contrat de travail qui ne peut pas être imposée au salarié sans son accord (Cass. soc., 3 novembre 2011, n° 10-30.033).
Dans le cadre d’une réorganisation, le passage d’un horaire fixe discontinu à un horaire continu variant chaque semaine suivant un cycle de 2 semaines nécessite-t-il l’accord du salarié ? 

Cass. Soc., 16 mars 2022, n° 21-10.147

Une entreprise procède à la réorganisation des tâches concernant le linge et l’entretien des locaux, laquelle se traduit par le changement des horaires de travail de 2 salariées.

Jusque-là, les 2 salariées travaillaient selon les horaires suivants : du lundi au vendredi de 9h30 à 11h30 et de 12h30 à 17h30.

A partir de juin 2013, les horaires ont été répartis par roulement : un horaire 1 (de 6h à 14h), et un horaire 2 (de 11h à 18h).

L’une des salariées concernées a refusé ce changement d’horaires et a, par conséquent, été licenciée. Elle a alors saisi le CPH pour contester le bien-fondé de son licenciement.

La Cour d’appel estime que son licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse, le changement d’horaire n’entraînant aucun bouleversement de l’économie du contrat. Dès lors, il pouvait intervenir sans l’accord exprès de la salariée. Son refus persistant du nouvel horaire justifiait donc son licenciement.

Or, la Cour de cassation rappelle que « le passage d’un horaire discontinu à un horaire continu ou d’un horaire fixe à un horaire variant chaque semaine selon un cycle entraîne une modification du contrat de travail que le salarié est en droit de refuser ».

Il en résulte que c’est à tort que la Cour d’appel a jugé le licenciement justifié et a débouté la salariée de sa demande de dommages-intérêts.

Note : Pour mémoire, alors que le changement des conditions de travail s’impose au salarié, la modification du contrat de travail nécessite de recueillir son accord préalable matérialisé par la signature d’un avenant.

Rappel : En matière prud’homale, la preuve est libre (enregistrements, échanges de correspondances, documents de l’entreprise, etc). Les parties sont néanmoins tenues par une exigence de loyauté.
L’employeur peut-il verser en justice l’extrait du profil LinkedIn d’une salariée pour tenter de réduire le montant de l’indemnité de licenciement déclaré sans cause réelle et sérieuse ?

Cass. Soc., 30 mars 2022, n° 20-21.665

Le 10 septembre 2014, une salariée est licenciée pour insuffisance professionnelle.

Contestant cette mesure, elle saisit la juridiction prud’homale qui lui donne raison et déclare son licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Les juges limitent toutefois ses dommages et intérêts à 10 000€ en s’appuyant sur un extrait du profil LinkedIn de la salariée produit par son ancien employeur.

Cet extrait mentionne que, d’octobre 2014 à février 2016, la salariée a « réalisé une étude et effectué des démarches en vue de la reprise d’une entreprise, ce qui a consisté en des négociations commerciales et promesses d’achat avec les cédants, études et bilans comptables, études de marché, réalisation du business plan, dépôt et présentation du projet auprès des organismes bancaires ».

Pour les juges, cette pièce établit que la salariée a retrouvé un emploi depuis octobre 2014 (soit un mois après son licenciement) ce qui justifie la limitation du montant des dommages et intérêts qui lui sont octroyés.

Pour sa défense, la salariée verse aux débats :

  • une attestation délivrée par Pôle emploi de ses périodes d’inscription en continu comme demandeur d’emploi allant du 19 novembre 2014 au 18 mars 2018 ;
  • l’attestation Pôle emploi établie par l’employeur mentionnant qu’elle a effectué son préavis du 12 septembre au 10 novembre 2014.

Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation ne revient pas sur la licéité de l’extrait du profil LinkedIn produit par l’employeur mais considère néanmoins que les juges ont dénaturé les termes clairs et précis de cette preuve.

Cet extrait mentionne que la salariée a réalisé une étude et effectué des démarches en vue de la reprise d’une entreprise, et non qu’elle a retrouvé un emploi.

Note : Les faits de l’espèce sont antérieurs à l’application du barème Macron.

Aujourd’hui, le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la charge de l’employeur varie en fonction de l’ancienneté du salarié dans l’entreprise et selon un barème fixé à l’article L. 1235-3 du Code du travail.

Toutefois, le profil LinkedIn d’un salarié qui constitue un mode de preuve admissible peut toujours permettre à l’employeur d’avoir accès à de nombreuses informations qui peuvent s’avérer utiles dans le cadre d’un contentieux.

Jurisprudence – Relations collectives

Rappel : Dans les entreprises où sont constituées une ou plusieurs sections syndicales d’organisations représentatives, l’employeur est tenu d’engager au moins une fois tous les 4 ans, une négociation :
  • sur la rémunération, notamment les salaires effectifs, le temps de travail et le partage de la valeur ajoutée dans l’entreprise, sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, portant notamment sur les mesures visant à supprimer les écarts de rémunération, et la qualité de vie et des conditions de travail (art. L. 2242-1 du code du travail) ;
  • dans les entreprises d’au moins 300 salariés, sur la gestion des emplois et des parcours professionnels (art. L. 2242-2 du même code).
Tant que la négociation mentionnée à ces articles est en cours, l’employeur ne peut, dans les matières traitées, arrêter de décisions unilatérales concernant la collectivité des salariés, sauf si l’urgence le justifie (art. L. 2242-4 du Code du travail). A défaut, la décision est nulle et de nul effet (Cass. Soc., 29 juin 1994, n° 91-18.640).
Le caractère obsolète et inadapté au droit en vigueur des dispositions de la convention collective constitue-t-il une urgence justifiant la dénonciation dudit accord après l’ouverture de négociations obligatoires ?

Cass. Soc., 23 mars 2022, n° 20-21.726

La Fédération Française des Maisons des Jeunes et de la Culture (FFMJC) dénonce en 2017 la convention collective applicable depuis 1972.

Un syndicat agit en justice aux fins de dire nulle et de nul effet cette dénonciation au motif que celle-ci est intervenue alors que la négociation annuelle obligatoire sur les salaires était en cours.

La Cour d’appel le déboute de sa demande sur le fondement de l’article L. 2242-4 du Code du travail précité. Pour les juges, l’urgence justifie la dénonciation unilatérale de la convention collective par l’employeur, en dépit de la mise en œuvre de la négociation annuelle obligatoire.

En l’espèce, l’urgence était caractérisée par le fait que :

  • les dispositions de l’accord collectif étaient devenues majoritairement obsolètes en 2017 et inadaptées tant à l’évolution législative qu’à la transformation de la FFMJC depuis 1972 (marquée notamment par la disparition de fédérations régionales signataires et la mise en place d’une délégation unique du personnel et par une situation économique difficile attestée par le jugement de redressement judiciaire),
  • il n’était pas tenu compte de l’évolution des métiers dont certains n’existaient plus ou d’autres, notamment ceux de l’animation, n’étaient pas répertoriés,
  • le nombre de salariés avait diminué dans des proportions importantes passant de 650 à 200 et de plus de 500 directeurs en 1972 à 80 directeurs en 2017.

Saisie du litige, la Cour de cassation rejette le pourvoi considérant que la condition de l’urgence relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.

Note : Malgré la teneur de cet arrêt, il est recommandé à l’employeur de ne pas prendre de décision unilatérale en cours de négociations obligatoires sur les matières traitées, l’urgence étant une notion laissée à la libre appréciation des juges du fond.

Rappel : Le système de vote électronique doit pouvoir être scellé à l’ouverture et à la clôture du scrutin (art. R. 2314-8 du Code du travail).
La liste d’émargement n’est accessible qu’aux membres du bureau de vote et à des fins de contrôle de déroulement du scrutin (art. R. 2314-16 du même code).
L’employeur ou le prestataire qu’il a retenu doit conserver sous scellés, les listes d’émargement jusqu’à l’expiration du délai de recours et, lorsqu’une action contentieuse a été engagée, jusqu’à la décision juridictionnelle devenue définitive (art. R. 2314-17 du même code).
Un syndicat peut-il accéder à la liste d’émargement, postérieurement à la clôture du scrutin, pour vérifier la régularité et la sincérité des opérations électorales ?

Cass. Soc., 23 mars 2022, n° 20-20.047

Le 13 septembre 2019, un protocole d’accord préélectoral est signé entre une société et les organisations syndicales représentatives en vue de la mise en place d’un CSE, lequel prévoyait notamment l’usage du vote électronique.

Il est fixé que le premier tour se déroule du 12 au 22 novembre 2019 et le second tour, le cas échéant, du 27 novembre au 6 décembre 2019.

Un syndicat, non-signataire du protocole sollicite, le 26 novembre 2019 (soit après la clôture du premier tour), la communication des listes d’émargement pour vérifier la régularité et la sincérité des opérations électorales, ce que la société refuse. Le syndicat et un salarié saisissent le tribunal d’instance (devenu le tribunal judiciaire) pour obtenir l’annulation du premier tour des élections.

Le tribunal, approuvé par la Cour de cassation, rejette leur demande sur le fondement :

  • des articles R. 2314-8, R. 2314-16 al. 1 et R. 2314-17 du Code du travail qui précisent les règles qui encadrent l’accès aux listes d’émargement ;
  • de l’article 5 de l’arrêté du 25 avril 2007 du Ministre du Travail, pris en application du décret n° 2007-602 du 25 avril 2007 relatif aux conditions et aux modalités de vote par voie électronique pour l’élection des délégués du personnel et des représentants du personnel au comité d’entreprise (aujourd’hui CSE) et modifiant le code du travail, qui prévoit qu’en cas de contestation des élections professionnelles, les listes d’émargement sont tenues à la disposition du juge.

La Cour de cassation en conclut qu’après la clôture du scrutin, il appartient aux parties intéressées de demander au juge, en cas de contestation des élections, que les listes d’émargement soient tenues à leur disposition.

Il revient au juge de procéder aux vérifications de la régularité des listes d’émargement.

Or, en l’espèce, le juge n’a été saisi d’aucune demande de vérification des listes d’émargement. Par conséquent, le refus opposé par l’employeur à la demande d’accès à la liste d’émargement était justifié au regard des conditions réglementées d’accès à cette liste en matière de vote électronique.

Autrement dit, en cas de contestation des élections organisées par vote électronique, l’employeur peut refuser à un syndicat la communication des listes d’émargement.

Note : Par cet arrêt, la Cour de cassation ne reconnait aucun droit d’accès direct à la liste d’émargement, à la fin des opérations électorales, à un électeur, un candidat ou une organisation syndicale ayant déposé une liste de candidatures. La partie intéressée doit saisir le juge.

Législation et réglementation

Dans un communiqué diffusé sur son site le 1er avril 2022, l’Urssaf indique que les employeurs qui rencontrent des difficultés financières, en raison du conflit en Ukraine entrainant la hausse des prix de l’énergie ou la perte de débouchés à l’export, peuvent demander un délai de paiement de leurs cotisations sociales patronales pour les prochaines échéances.

De même, les entreprises qui auraient reçu un plan d’apurement peuvent en demander le report ou la renégociation.

L’Urssaf met à disposition sur son site internet un guide et un flyer afin d’orienter les employeurs qui souhaiteraient bénéficier de ces mesures.

La déclaration annuelle relative à l’Obligation d’Emploi des Travailleurs Handicapés (OETH) doit se faire via la DSN d’avril, et non plus celle de février. C’est ce que précise l’Urssaf dans une note diffusée sur son site internet le 5 avril 2022.

Pour mémoire, les entreprises d’au moins 20 salariés qui n’atteignent pas, parmi leurs effectifs, les 6% de bénéficiaires de l’OETH sont redevables d’une contribution annuelle.

En 2022, au titre de l’obligation d’emploi de l’année 2021, la déclaration annuelle de l’OETH et le paiement de la contribution doivent donc être effectués via la DSN d’avril, exigible le 5 ou le 16 mai 2022.

Cette démarche s’effectuera donc dorénavant au mois d’avril et non plus au mois de février.