Actu-tendance n° 616

Jurisprudence – Relations individuelles

Rappel : En raison de l’atteinte qu’il porte à la liberté d’expression, en particulier au droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail, le licenciement d’un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et qui, s’ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales, est frappé de nullité (Cass. Soc., 30 juin 2016, n° 15-10.557).
Une telle nullité s’applique-t-elle au licenciement prononcé pour avoir relaté de bonne foi des manquements à des obligations déontologiques ?

Cass. Soc., 19 janvier 2022, n° 20-10.057

Un salarié occupant les fonctions d’expert-comptable et de commissaire aux comptes alerte son employeur sur une situation de conflit d’intérêts entre ses deux fonctions. Il précise qu’à défaut de pouvoir discuter de cette question avec son employeur, il en saisirait la compagnie régionale des commissaires aux comptes. Ce qu’il fait dix jours plus tard. Il est licencié pour faute grave quatre jours après la saisine de cet organisme. Le salarié conteste son licenciement et demande qu’il soit déclaré nul.

La cour d’appel fait droit à sa demande et juge le licenciement nul pour violation d’une liberté fondamentale.

D’une part, elle relève que « la lettre de licenciement reprochait expressément au salarié d’avoir menacé son employeur de saisir la compagnie régionale des commissaires aux comptes de l’existence dans la société d’une situation de conflit d’intérêts à la suite de cas d’auto-révision sur plusieurs entreprises, situation prohibée par le code de déontologie de la profession ».

D’autre part, les juges du fond retiennent que « la procédure de licenciement avait été mise en œuvre concomitamment à cette alerte et à la saisine par le salarié de cet organisme professionnel après que l’employeur lui eut refusé toute explication sur cette situation ».

L’employeur se pourvoit en cassation. Il soutient notamment que, dans l’hypothèse d’une violation de la liberté d’expression, la nullité ne s’applique qu’aux licenciements prononcés en raison de la dénonciation d’infractions pénales.

La Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle précise qu’« en raison de l’atteinte qu’il porte à la liberté d’expression, en particulier au droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail, le licenciement d’un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et qui, s’ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales ou des manquements à des obligations déontologiques prévues par la loi ou le règlement, est frappé de nullité ».

Or, la Haute juridiction considère que, en l’espèce, les juges du fond ont fait ressortir que « le salarié avait été licencié pour avoir relaté des faits, dont il avait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions, et qui, s’ils étaient établis, seraient de nature à caractériser une violation du code de déontologie de la profession de commissaire aux comptes » et que la mauvaise foi du salarié n’était pas établie.

Note : Ainsi, la Cour de cassation étend sa jurisprudence, applicable en cas de dénonciation d’une potentielle infraction pénale, à la dénonciation d’éventuels manquements à des obligations déontologiques prévues par la loi ou le règlement.

Rappel : Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (C. trav. art. L. 1152-1).
L’employeur doit prendre toutes les dispositions nécessaires pour prévenir les agissements de harcèlement moral (C. trav. L. 1152-4) et assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (C. trav. art. L. 4121-1 et L. 4121-2).
L’employeur peut-il être condamné à des dommages-intérêts s’il ne prend aucune mesure face à la souffrance dont lui fait part un salarié ?

Cass. Soc., 5 janvier 2022, n° 20-14.927

Un salarié informe sa hiérarchie par courriel de la souffrance qu’il ressent, de son incompréhension quant à son absence d’évolution de carrière au sein de la société et de la réaction verbale disproportionnée et violente du président de l’entreprise survenue quelques jours auparavant lors d’un incident. Aucune mesure n’est prise par l’employeur à la réception de ce courriel.

Déclaré inapte quelques mois plus tard, le salarié est licencié pour inaptitude physique avec impossibilité de reclassement au sein du groupe. Il saisit la justice afin d’obtenir, entre autres, des dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de prévention des agissements de harcèlement moral et, subsidiairement, manquement à l’obligation de sécurité.

Il est débouté par la cour d’appel qui retient que « le salarié ne se trouvait pas dans une situation de harcèlement moral et qu’il ne pouvait dès lors venir réclamer une quelconque indemnisation à son ancien employeur pour un prétendu manquement à son obligation de prévention du harcèlement moral ».

La Cour de cassation censure le raisonnement des juges du fond et fait droit à la demande d’indemnisation du salarié. Elle considère que l’obligation de prévention des risques professionnels et du harcèlement moral est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral et ne se confond pas avec cette dernière.

Note : Ainsi, l’absence de harcèlement n’est pas de nature à justifier, en soi, du respect par l’employeur de son obligation de prévention des risques professionnels. Autrement dit, l’absence de harcèlement ne signifie pas que l’employeur a respecté son obligation de prévention des risques professionnels.

Il s’agit d’une confirmation de jurisprudence (Cass. Soc., 6 décembre 2017, n° 16-10.885).

Jurisprudence – Relations collectives

Rappel : Assistent aux réunions du comité social et économique (CSE), portant sur les attributions du comité en matière de santé, de sécurité ou des conditions de travail et, le cas échéant, aux réunions de la commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT), avec voix consultative, le responsable interne du service de sécurité et des conditions de travail, ou, à défaut, l’agent chargé de la sécurité et des conditions de travail (C. trav. art. L. 2314-3).
Ne peuvent exercer un mandat de représentation les salariés qui, soit disposent d’une délégation écrite particulière d’autorité leur permettant d’être assimilés au chef d’entreprise, soit représentent effectivement l’employeur devant les institutions représentatives du personnel ou exercent au niveau de l’entreprise à l’égard des représentants du personnel les obligations relevant exclusivement du chef d’entreprise (Cass. Soc., 12 juillet 2006, n° 05-60.300).
Le responsable sécurité de l’entreprise est-il éligible au CSE ?

Cass. Soc., 19 janvier 2022, n° 19-25.982

Une salariée occupant le poste de responsable interne du service de sécurité et d’hygiène au travail est élue au CSE. Un syndicat demande l’annulation de cette élection. Il soutient que :

  • d’une part, la salariée représentait effectivement l’employeur devant les institutions représentatives du personnel ;
  • d’autre part, « un salarié ne peut pas siéger dans le même CSE en plusieurs qualités dès lors qu’il ne peut pas, au sein d’une même instance, et dans le même temps, exercer des fonctions délibératives en qualité d’élu et des fonctions consultatives en une autre qualité », ce qui était le cas en l’espèce, selon lui, puisque la salariée concernée avait été élue membre du CSE et assistait également au CSE avec voix consultative en sa qualité de responsable interne du service de sécurité et d’hygiène au travail.

Le tribunal, relevant que la salariée ne disposait pas d’une délégation de pouvoirs de l’employeur, a rejeté la demande d’annulation.

La Cour de cassation approuve cette décision des juges du fond. Elle rappelle, comme précité, que le responsable sécurité peut assister aux réunions du CSE avec voix consultative et que, selon une jurisprudence constante, les salariés assimilés à l’employeur ne sont pas éligibles.

La Haute juridiction retient ensuite que « dès lors qu’ils interviennent de façon ponctuelle lors des seules réunions […] en matière de santé, de sécurité et des conditions de travail afin d’éclairer les membres du [CSE] et disposent d’une voix seulement consultative, le responsable du service de sécurité et des conditions de travail, ainsi que l’agent chargé de la sécurité et des conditions de travail, ne représentent pas l’employeur devant les institutions représentatives du personnel. Il en résulte qu’ils sont éligibles au [CSE] ».

Note : Ainsi, le fait que le responsable sécurité assiste à certaines réunions du CSE ne le rend pas, par principe, inéligible. En revanche, il le devient s’il dispose d’une délégation écrite particulière d’autorité ou s’il représente effectivement l’employeur devant les institutions représentatives du personnel puisque dans ces cas, il est alors assimilé à l’employeur.

Rappel : À moins qu’elles ne soient directement contraires aux principes généraux du droit électoral, les irrégularités commises dans l’organisation et le déroulement du scrutin ne constituent une cause d’annulation que si elles ont exercé une influence sur le résultat des élections ou si, s’agissant du premier tour, elles ont été déterminantes de la qualité représentative des organisations syndicales dans l’entreprise, ou du droit pour un candidat d’être désigné délégué syndical (Cass. soc. 13-1-2010 n° 09-60.203).
Le retard dans l’envoi des éléments de vote électronique entraîne-t-il l’annulation des élections professionnelles ?

Cass. Soc., 5 janvier 2022, n° 20-17.883

Une entreprise organise ses élections professionnelles. Aux termes des modalités d’organisation et de déroulement des opérations électorales fixées par l’employeur, en l’absence d’accord avec les syndicats, le premier tour des élections doit se dérouler du 14 au 21 novembre 2019. En outre, un courrier postal contenant les professions de foi, les codes confidentiels et une note d’information sur le vote électronique doit être envoyé à chaque salarié le 7 novembre 2019. Ces courriers sont finalement postés le 13 novembre 2019.

Un syndicat, considérant que cette irrégularité était de nature à avoir une influence sur sa représentativité, demande l’annulation des élections.

Le tribunal rejette la demande. Il constate « d’une part que [les courriers litigieux] étaient parvenus aux électeurs le 14 novembre 2019, jour de l’ouverture du scrutin, ou le lendemain au plus tard, en sorte que le premier tour s’étant déroulé jusqu’au 21 novembre 2019, tous les salariés avaient été en mesure de voter, d’autre part que, le jour de l’ouverture du scrutin, des courriels avaient été adressés aux salariés leur permettant de récupérer leurs codes secrets ». Les juges du fond estiment donc que « le léger retard dans l’envoi des éléments de vote n’avait eu aucune incidence sur le résultat de l’élection ».

La Cour de cassation juge la décision du tribunal justifiée. Elle considère que ce dernier a fait ressortir que les irrégularités relevées n’étaient pas déterminantes de la qualité représentative du syndicat dans l’établissement.

Note : La solution aurait pu être différente si le retard avait été plus important.

Rappel : En cas de recours au vote électronique, la cellule d’assistance technique doit, en présence des représentants des listes de candidats et avant que le vote ne soit ouvert, procéder à un test du système de vote électronique et à un test spécifique du système de dépouillement à l’issue duquel le système est scellé, et vérifier que l’urne électronique est vide, scellée et chiffrée par des clés délivrées à cet effet (C. trav. art. R. 2314-15).
Le système de vote électronique doit pouvoir être scellé à l’ouverture et à la clôture du scrutin (C. trav. art. R. 2314-8).
Dans les bureaux de vote dotés d’une machine à voter, le bureau de vote s’assure publiquement, avant le commencement du scrutin, que la machine fonctionne normalement et que tous les compteurs sont à la graduation zéro (C. élect. art. L. 63, al. 3).
La vérification de l’urne électronique doit-elle se dérouler publiquement et immédiatement avant l’ouverture du scrutin ?

Cass. Soc., 19 janvier 2022, n° 20-17.076

Une entreprise organise les élections de son CSE par vote électronique. Une réunion de vérification de site électronique et de formation des membres du bureau de vote est organisée deux semaines avant l’ouverture du scrutin. Les syndicats y sont conviés sans être informés que cette réunion tiendrait lieu d’opération de vérification de ce que l’urne électronique était vide, scellée et chiffrée.

Un syndicat, considérant que les opérations de vérification de l’urne électronique étaient irrégulières, demande l’annulation du premier tour des élections.

Le tribunal fait droit à sa demande. Il retient « qu’il résulte de la combinaison des articles R. 2314-15 du Code du travail et L. 63 du Code électoral [précités] que l’opération de vérification de l’urne électronique doit être faite publiquement immédiatement avant le scrutin et en présence des représentants des listes de candidats ».

La Cour de cassation censure le raisonnement des juges du fond. Selon elle, « il ne résulte pas des articles R. 2314-8 et R. 2314-15 du Code du travail [précités] que le test du système de vote électronique et la vérification que l’urne électronique est vide, scellée et chiffrée doivent intervenir immédiatement avant l’ouverture du scrutin ». La Haute juridiction précise, par ailleurs, que « l’article L. 63, troisième alinéa, du Code électoral […] n’est pas applicable au vote électronique régi par les dispositions des articles R. 2314-5 à R. 2314-18 du Code du travail ».

Note : Ainsi, en cas de vote électronique, la vérification de l’urne peut être réalisée plusieurs jours avant l’ouverture du scrutin.

Rappel : Lorsque la contestation porte sur la régularité de l’élection, la requête n’est recevable que si elle est remise ou adressée dans les quinze jours suivant cette élection (C. trav. art. R. 2314-24, al. 4).
La contestation du périmètre dans lequel les élections ont eu lieu peut-elle être introduite dans les quinze jours suivant le second tour ?

Cass. Soc., 19 janvier 2022, n° 20-17.286

Dans la perspective de l’organisation des élections professionnelles pour la mise en place de son CSE, une entreprise fixe unilatéralement, après échec des négociations avec les syndicats, à trois le nombre d’établissements distincts. Cette décision est contestée devant la Direccte (désormais Dreets) qui rejette le recours. La décision de la Direccte est annulée par le tribunal qui fixe à douze le nombre d’établissements distincts. L’entreprise se pourvoit en cassation contre cette décision. Dans l’attente, les élections se déroulent sur la base de douze établissements distincts. Le quorum n’ayant pas été atteint au premier tour, un second tour est organisé. Une dizaine de jour après le second tour, l’entreprise demande l’annulation des élections dans un des douze établissements distincts en contestant l’existence de celui-ci.

Le tribunal rejette sa demande au motif qu’elle n’a pas été remise ou adressée dans les quinze jours suivant le premier tour de l’élection alors que la cause d’annulation, à savoir la remise en cause du cadre dans lequel les élections ont été organisées, existait dès le premier tour.

Le jugement est cassé par la Haute juridiction qui estime qu’il résulte de l’article R. 2314-24 du Code du travail précité que « la contestation portant sur les résultats des élections, lorsqu’elle est la conséquence d’une contestation du périmètre dans lequel les élections ont eu lieu, lequel n’est pas un élément spécifique au premier tour, est recevable si elle est faite dans les quinze jours suivant la proclamation des résultats des élections ». Elle en déduit que la requête formée par l’entreprise dans le délai de 15 jours suivant le second tour de l’élection était recevable.

La Cour de cassation poursuit sa décision en statuant au fond. Constatant que le jugement du tribunal qui avait fixé à douze le nombre d’établissements distincts a été cassé, elle décide que les élections devaient être organisées sur le périmètre de trois établissements distincts conformément à la décision unilatérale de l’employeur. Les élections ayant eu lieu sur un périmètre différent, elles sont annulées.

Note : La Cour de cassation confirme ici que le point de départ du délai de 15 jours applicable en cas de contestation portant sur la régularité des opérations électorales est la proclamation nominative des élus par le bureau de vote après la fin des opérations de dépouillement (Cass. Soc., 10 mars 2010, n° 09-60.253). En application de ce principe, elle a déjà jugé que si au premier tour aucun candidat n’est élu faute de quorum, le délai de quinze jours ne commence à courir qu’à compter de la proclamation des élus du second tour (Cass. Soc., 7 mai 2002, n° 00-60.229).

Législation et réglementation

Actuellement, les secteurs les plus touchés par la crise sanitaire bénéficient de taux d’allocation et d’indemnité d’activité partielle de 70 %, ce qui permet aux entreprises concernées de conserver un reste à charge nul.

Prolongées à plusieurs reprises depuis le début de la crise sanitaire, ces majorations de taux doivent prendre fin le 31 janvier 2022.

Toutefois, deux projets de décrets soumis aux partenaires sociaux le 21 janvier dernier envisagent de prolonger ces mesures d’un mois, soit jusqu’au 28 février 2022.

Pour rappel, sont visés par ces mesures les employeurs :

  • dont l’activité a été interrompue par décision administrative en raison de la crise sanitaire ;
  • situés dans un territoire soumis à des restrictions spécifiques des conditions d’exercice de l’activité économique et de circulation des personnes prises par l’autorité administrative et qui subissent une baisse significative de chiffre d’affaires ;
  • qui relèvent des secteurs particulièrement affectés par les conséquences de l’épidémie de covid-19 et qui continuent de subir une forte baisse du chiffre d’affaires.

Validée, pour l’essentiel, par le Conseil constitutionnel, la loi renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire a été publiée au JO du 23 janvier dernier accompagnée d’un décret d’application n° 2022-51 du 22 janvier 2022 précisant notamment les modalités du passe vaccinal. Les dispositions de ces textes sont entrées en vigueur dès le 24 janvier dernier.

Pour rappel, cette loi prévoit notamment (cf. Actu Tendance 615) :

  • de transformer le passe sanitaire en passe vaccinal, le décret d’application prévoyant toutefois quelques exceptions (engagement dans un schéma vaccinal, certificat de rétablissement, contre-indication médicale…) ;
  • une amende de 500 € par salarié dans la limite de 50 000 € pour les employeurs ne respectant pas les principes généraux de prévention (notamment le télétravail) ;
  • la possibilité de reporter certaines visites médicales effectuées dans le cadre du suivi de l’état de santé des travailleurs ;
  • la possibilité pour le Gouvernement de prolonger ou reconduire par décret certaines mesures d’exonération et d’aide au paiement des cotisations et contributions sociales jusqu’au 31 juillet 2022.