Un courriel de reproches envoyé par la Direction ne constitue plus nécessairement une sanction disciplinaire

La distinction entre un simple courriel de reproches et une sanction disciplinaire n’est pas toujours évidente, tant la jurisprudence rendue sur ce sujet est dense.
Il faut dire que l’enjeu d’une telle distinction est important : la qualification d’un écrit en sanction épuise le pouvoir disciplinaire de l’employeur qui ne pourra plus licencier son salarié pour les mêmes faits.
Depuis 2014, la jurisprudence de la Cour de cassation laissait entendre que tout écrit comportant l’indication d’une faute pouvait être considéré comme une sanction disciplinaire.
Par un arrêt publié le 29 septembre 2021, la Cour de cassation semble toutefois revenir sur cette jurisprudence, en apportant une nouvelle précision sur la nature des courriels de reproches envoyés par l’employeur et leur possible qualification en sanction disciplinaire.

Les faits

En l’espèce, un salarié travaillant au sein d’une société spécialisée dans la publicité, mettait en cause son supérieur hiérarchique dans un courriel du 21 juillet 2014.

Le 30 juillet 2014, en réponse à ses critiques, il recevait un courriel de la part du Président de la Société, lequel contestait ses propos tout en faisant état d’un certain nombre de griefs.

Le salarié était convoqué à un entretien préalable le lendemain et était finalement licencié pour faute grave le 15 septembre 2014.

Contestant cette mesure, il saisissait le Conseil de Prud’hommes en faisant valoir, notamment, que le courriel reçu le 30 juillet 2014 constituait une sanction disciplinaire et que l’employeur avait donc épuisé son pouvoir disciplinaire. En vertu du principe non bis in idem, il considérait son licenciement comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse.

La décision

Après avoir été débouté de ses demandes par les conseillers prud’homaux, le salarié interjetait appel devant la Cour d’appel de Versailles.

Son raisonnement était finalement suivi par cette dernière qui, par un arrêt du 19 décembre 2019, infirmait le jugement du Conseil de Prud’hommes de Nanterre et déclarait le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Les magistrats de la Cour d’appel considéraient que « quand bien même ce courriel intervenait en réponse à une mise en cause de son supérieur hiérarchique formulée par M. X dans un courriel du 21 juillet 2014 […], l’employeur stigmatisait et reprochait de la sorte au salarié, et ce au-delà d’une simple contestation des faits dénoncés par le salarié, des manquements ultérieurement invoqués à l’appui de la rupture, en sorte que ce courriel, qui n’appelait pas d’autre explication du salarié et qui a été envoyé 24 heures avant l’engagement de la procédure de licenciement, s’analysait en une sanction disciplinaire ; »

La Cour de cassation, saisie par le pourvoi de la Société, n’a toutefois pas été de cet avis.

Par un arrêt du 29 septembre 2021 et après avoir rappelé les termes de l’article L.1331-1 du Code du travail, la Cour de cassation a estimé que le courriel du 30 juillet 2014 ne constituait pas une sanction disciplinaire car il ne traduisait pas la volonté du président de la société de sanctionner par lui-même les faits.

La portée

Cet arrêt met-il fin à la jurisprudence de 2014, selon laquelle, tout écrit comportant des reproches constitue une sanction disciplinaire ?

Pour mémoire, la Cour de cassation avait considéré dans un arrêt en date du 9 avril 2014 que le courriel faisant état de manquements et invitant le salarié à se conformer aux règles qu’il avait méconnues, s’analysait en un avertissement (Cass. soc. 9 avril 2014, n°13-10.939).

Il en résultait donc que tout reproche constaté par écrit, peu importe le vocabulaire employé, pouvait constituer une sanction disciplinaire et empêcher par voie de conséquence la prononciation d’un licenciement fondé sur les mêmes faits.

Aux termes de cette jurisprudence, la Cour de cassation élargissait donc considérablement le périmètre de la notion de sanction disciplinaire, invitant ainsi les employeurs à faire preuve d’une particulière prudence avant de constater par écrit les manquements d’un salarié, au risque d’épuiser leur pouvoir disciplinaire.

Par deux arrêts du 27 mai et 29 septembre 2021, la Cour de cassation semble atténuer ce principe.

En effet, aux termes de l’arrêt rendu le 27 mai 2021, la Cour de cassation a considéré que, alors même que le courriel adressé au salarié faisait état de nombreux reproches et lui rappelait les règles qu’il avait méconnues, l’écrit litigieux ne pouvait s’analyser en une sanction disciplinaire, aux motifs que :

  • D’une part, l’auteur de l’écrit indiquait expressément qu’il se limitait à demander une sanction ;
  • Et d’autre part, la prise de sanction revenait exclusivement à la direction et au responsable des ressources humaines.

La Cour de cassation a donc estimé que lorsque l’auteur du courriel de reproches n’exprime pas sa volonté de sanctionner personnellement les faits, et qu’il n’a, en tout état de cause, pas la capacité de le faire, l’écrit ne peut constituer une sanction disciplinaire.

L’arrêt du 29 septembre 2021 est venu confirmer cette solution en exposant que, dans la mesure où l’écrit litigieux « ne traduisait pas la volonté du président de la société de sanctionner par lui-même les faits », il ne pouvait s’analyser en une sanction disciplinaire.

Ainsi, aux termes de ces 2 arrêts, il convient de tirer les enseignements suivants :

  • L’écrit faisant état de reproches par le supérieur hiérarchique ne constitue plus ipso facto une sanction disciplinaire;
  • L’auteur de l’écrit doit avoir la capacité de sanctionner par lui-même les faits qu’il reproche au salarié. Il convient de comprendre ici qu’il s’agit du pouvoir de prendre une sanction. La Cour de cassation semble en effet distinguer le pouvoir de constater une sanction (rôle des supérieurs hiérarchiques) de celui de prendre une sanction (rôle revenant le plus souvent au service des ressources humaines et à la Direction) ;
  • L’écrit doit traduire la volonté de son auteur de sanctionner par lui-même le salarié.
Sophie Rey
Avocate associée | +33 (0)144 94 96 00 | societe@actanceavocats.com | + posts

Sophie REY est avocat depuis 2007 et exerce au sein du cabinet Actance depuis 2008.
Elle est titulaire d’un master II en droit social et management de l’entreprise de L’Université de Toulouse I et du Certificat de spécialisation en droit du travail.
Elle exerce une activité principalement judiciaire et accompagne nos clients dans la gestion des contentieux individuels et collectifs.
Elle plaide régulièrement devant les Conseils des Prud’hommes, et Cours d’Appel (problématiques de licenciement, de discrimination, d’égalité de traitement…) mais également devant les Tribunaux Judiciaires (contentieux collectifs, contestation d’expertise, contentieux d’élections professionnelles, contestation du caractère professionnel de la maladie, contentieux de la faute inexcusable…).

Laura Guilloton
Avocate | +33 (0)144 94 96 00 | societe@actanceavocats.com | + posts