Titres – restaurant : un droit acquis pour tous les télétravailleurs en période de crise sanitaire ? Titres – restaurant : un droit acquis pour tous les télétravailleurs en période de crise sanitaire ?
Chloé Bouchez et Assia Chafaï, avocates associée et collaboratrice du Cabinet, apportent leur éclairage sur la question du maintien du bénéfice des titres-restaurant pour les télétravailleurs à la suite des jugements rendus par les TJ de Nanterre et de Paris.
La crise sanitaire a donné lieu au développement du télétravail dans des proportions jamais connues confrontant ainsi les employeurs à une situation inédite s’agissant de la restauration de leurs salariés.
En effet, nombre sont ceux qui se sont interrogés sur le maintien du bénéfice des titres-restaurant dès lors que les salariés placés en télétravail pouvaient désormais se restaurer à leur domicile.
Dans son questions/réponses à jour du 25 mars 2021, le Ministère du Travail rappelle que si les salariés exerçant leur activité dans les locaux de l’entreprise bénéficient des titres-restaurant, les télétravailleurs doivent aussi en recevoir si leurs conditions de travail sont équivalentes. Cette position est également celle de l’URSSAF.
Par deux jugements des 10 et 30 mars 2021 (TJ Nanterre 10-3-2021 n° 20/09616 net TJ Paris 30-3-2021 n°20/09805), les Tribunaux judiciaires de Nanterre et Paris ont chacun livré leur interprétation de la question, plaçant un peu plus encore les employeurs dans l’incertitude.
L’EQUIVALENCE DES CONDITIONS DE TRAVAIL COMME CRITERE THEORIQUE D’ATTRIBUTION DES TITRES-RESTAURANT
Les télétravailleurs doivent bénéficier des mêmes droits et avantages légaux et conventionnels que ceux applicables aux salariés en situation comparable travaillant dans les locaux de l’entreprise (article 4 de l’ANI du 19 juillet 2005 et article L 1222-9 du Code du travail).
S’agissant de l’attribution des titres-restaurants, cette règle d’ordre public est sujette à diverses interprétations, en particulier depuis le recours imposé au télétravail rendu nécessaire par l’épidémie de Covid-19.
En premier lieu, il convient de rappeler que le titre-restaurant est un avantage consenti par l’employeur qui ne résulte d’aucune obligation légale.
Par ailleurs, la loi ne définit pas ses conditions d’attribution, la seule règle étant que le repas pris en charge doit être compris dans l’horaire journalier de travail du salarié (article R 3262-7 du Code du travail).
En l’absence de cadre législatif précis, la position de l’URSSAF, de la CNTR – commission nationale des titres-restaurant – et du Ministère du travail est la suivante : les télétravailleurs à domicile doivent bénéficier des titre-restaurants dès lors que leurs conditions de travail sont équivalentes à celles des salariés exerçant leur activité dans les locaux de l’entreprise.
Le critère d’attribution des titres-restaurant serait donc « l’équivalence » des conditions de travail entre les télétravailleurs et les salariés exerçant leur activité dans les locaux de l’entreprise.
Ainsi, au nom du principe d’égalité de traitement, les salariés télétravailleurs doivent bénéficier des titres-restaurant dès lors qu’ils sont placés dans une situation comparable aux salariés sur site.
A contrario, il incombe à l’employeur qui priverait les télétravailleurs de tickets restaurants de justifier :
- que ces derniers se trouvent dans une situation distincte en raison notamment des conditions d’exercice de leurs fonctions ;
- que le refus d’attribution des titres restaurant est fondé sur les raisons objectives matériellement vérifiables et en rapport avec l’objet des titres restaurants.
Comment définir cette équivalence des conditions de travail en période de crise sanitaire ? Quels critères objectifs pourraient permettre de justifier l’absence d’octroi des titres-restaurant aux télétravailleurs dès lors que ces derniers constituent désormais une part importante voire majoritaire de la population de l’entreprise ?
Dans leurs jugements des 10 et 30 mars 2021, les Tribunaux judiciaires de Nanterre et Paris ont donné à ces questions des réponses diamétralement opposées.
L’APPRECIATION DIVERGENTE PAR LES TRIBUNAUX DES CONDITIONS DE TRAVAIL EQUIVALENTES
En l’absence de restaurant d’entreprises ou inter-entreprises, nombreux sont les employeurs qui font le choix d’octroyer à leurs salariés des titres-restaurant.
Dans les deux affaires étudiées, les employeurs avaient cessé d’attribuer ces titres-restaurant aux salariés placés en télétravail estimant que ces derniers n’étaient pas placés dans une situation comparable à celle des salariés sur site.
- Pour le Tribunal judiciaire de Nanterre : pas de titres-restaurant sans surcoût lié à la restauration hors du domicile.
Dans l’affaire qui a donné lieu au jugement du 10 mars 2021, l’employeur avait cessé d’attribuer des titres-restaurant aux salariés placés en télétravail à compter du 17 mars 2020, début du premier confinement et point de départ du télétravail « imposé » en raison de la pandémie de Covid-19.
Le Tribunal judiciaire de Nanterre a approuvé cette décision estimant que le critère prépondérant pour l’octroi des titres-restaurant est celui du surcoût lié à la restauration en dehors du domicile.
En effet, pour les juges, l’objectif poursuivi par l’employeur en finançant les tickets restaurants en tout ou partie est de permettre à ses salariés de faire face au surcoût lié à la restauration hors de leur domicile pour ceux qui seraient dans l’impossibilité de prendre leur repas à leur domicile.
Ainsi, selon la juridiction, dès lors que les télétravailleurs à domicile ne subissent aucun surcoût lié à leur restauration, ils ne sont pas placés dans une situation comparable à celle des salariés travaillant sur site et ne peuvent donc prétendre à l’octroi des titres restaurants.
Le recours à la notion de surcoût peut sembler surprenante. En effet, d’une part, le critère du surcoût lié au repas pris hors du domicile est absent de la législation. D’autre part, le surcoût entraîné ou non par un repas pris au domicile ne dépend – il pas des habitudes alimentaires de chacun ?
- Selon le Tribunal judiciaire de Paris, les titres restaurants doivent être accordés dès lors qu’ils ont pour « principe directeur » de permettre au salarié de se restaurer lorsque son temps de travail comprend un repas.
Dans cette affaire, le critère du « surcoût » lié au repas pris à l’extérieur est absent de l’argumentation de l’employeur comme de celle des juges.
En l’espèce, l’employeur justifiait le refus d’octroi des titres-restaurant aux télétravailleurs par deux arguments.
- D’une part, il considérait que l’objectif des tickets restaurants était de permettre au salarié de se restaurer lorsque celui-ci ne dispose pas d’un espace pour préparer son repas.
En conséquence, selon l’employeur, s’il peut être admis qu’un salarié en télétravail dans un espace de coworking par exemple se voit octroyer les titres-restaurants, tel ne doit pas être le cas du salarié qui travaille à domicile et qui dispose de sa cuisine personnelle pour préparer son repas.
- D’autre part, la Société estimait que la règlementation et les conditions d’utilisation des titres-restaurants ne sont pas compatibles avec la situation du télétravailleur.
Elle rappelait en ce sens que le salarié ne peut utiliser un titre-restaurant que pour acheter un repas en restaurant, un repas directement consommable ou des fruits et légumes et non pour financer ses courses de la semaine.
Les juges parisiens vont se montrer peu sensibles à ces arguments et juger que :
- « L’objet du titre-restaurant est de permettre au salarié de se restaurer lorsqu’il accomplit son horaire de travail journalier comprenant un repas, mais non sous condition qu’il ne dispose pas d’un espace personnel pour préparer celui-ci. »
- « Les conditions d’utilisation des titres restaurant sont tout à fait compatibles avec l’exécution des fonctions en télétravail puisqu’elles ont pour principe directeur de permettre au salarié de se restaurer lorsque son temps de travail comprend un repas, et qu’à ce titre, les télétravailleurs se trouvent dans une situation équivalente à celle des salariés sur site ».
- « Le fait que l’accord national interprofessionnel relatif au télétravail du 26/11/2020 ne comporte aucune mention expresse quant à la restauration des salariés en télétravail ne saurait permettre de conclure que l’employeur ne dispose d’aucune obligation d’attribuer des titres-restaurant aux salariés en télétravail ».
En conséquence, pour le Tribunal judiciaire de Paris, ni le fait que le salarié puisse préparer son repas dans sa cuisine personnelle, ni le fait que l’utilisation des titres-restaurant soit limitée à certaines denrées alimentaires ne doivent être pris en compte.
L’employeur doit uniquement rechercher si un repas est compris dans l’horaire de travail journalier du salarié. Si tel est le cas, le télétravailleur doit bénéficier des titres-restaurant au même titre que les salariés travaillant sur site.
A ce jour, la question de l’octroi des titres-restaurants aux télétravailleurs à domicile n’est donc pas tranchée.
La décision du Tribunal judiciaire de Nanterre a fait l’objet d’un appel et il est probable que le jugement du Tribunal judiciaire de Paris connaisse le même sort.
Il sera en tout état de cause intéressant d’attendre que la Cour de cassation se prononce et d’observer si le surcoût lié à la restauration hors du domicile, la possibilité de préparer son repas dans sa cuisine personnelle, ou l’impossibilité de financer ses courses de la semaine avec les titres-restaurant peuvent justifier une différence de traitement entre les télétravailleurs à domicile et les salariés travaillant sur site qui n’ont pas accès à un restaurant d’entreprise.
Il convient par ailleurs de s’interroger sur le fait de savoir si la décision rendue par le Tribunal judiciaire de Paris pourrait être pérennisée en dehors de toute crise sanitaire, lorsque le télétravail ne sera plus imposé ou subi mais bien choisi, d’un commun accord entre l’employeur et les salariés.
Dans cette attente et au regard des divergences jurisprudentielles, chaque situation devra être appréciée in concreto.
Chloé Bouchez
Chloé BOUCHEZ a exercé 1 an au sein du cabinet Barthélémy & Associés et a participé à la création du cabinet Actance. Elle est titulaire du Master II en Droit social de l’Université Panthéon-Assas et du Certificat de spécialisation en droit du travail. Elle accompagne les groupes et entreprises de dimension nationale et internationale sur toutes les problématiques liées aux relations collectives et individuelles du travail, et anime régulièrement des formations. Elle est amenée à travailler en Français et en Anglais. Elle dispose également d’une forte expérience dans la gestion des pré-contentieux et des contentieux à risque.
Assia Chafaï
Master 2 Droit Social - Université Paris Ouest Nanterre la Défense