« Rupture sur rupture ne vaut » : Application à la résiliation judiciaire du contrat de travail d’un salarié protégé « Rupture sur rupture ne vaut » : Application à la résiliation judiciaire du contrat de travail d’un salarié protégé

La demande de résiliation judiciaire du contrat de travail engagée par un salarié protégé avant la notification de son licenciement, dont l’autorisation est ultérieurement annulée, ne permet pas au juge prud’homal de se prononcer sur le bien-fondé de cette demande.
Pascal Flécheau et Virginie Audet reviennent sur l’arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 10 novembre 2021 (n°20-12.604) aux termes duquel la Cour constate que faute pour le salarié d’avoir sollicité sa réintégration à la suite de l’annulation de l’autorisation de licenciement, le juge ne peut se prononcer sur la demande de résiliation judiciaire, le contrat de travail étant déjà rompu.

Les faits

Une résiliation judiciaire antérieure à la notification du licenciement

Un directeur des ressources humaines, par ailleurs conseiller prud’homal, se voit notifier une mise à pied conservatoire préalable à un éventuel licenciement et qui aboutit finalement à la notification d’un avertissement. Néanmoins, pendant la période de mise à pied conservatoire, l’employeur engage un autre directeur des ressources humaines dont le périmètre des attributions comprend celui du salarié sanctionné. Estimant que l’employeur a manqué à ses obligations, notamment au regard de la rétrogradation qu’il considère avoir subie, le salarié saisit, le 15 janvier 2010, le Conseil de prud’hommes d’une demande de résiliation judiciaire. Par la suite, l’employeur sollicite et obtient une autorisation de procéder au licenciement du DRH, pour faute, licenciement qui lui est notifié le 1er avril 2010.

Annulation définitive de l’autorisation de licenciement

Aux termes d’un jugement en date du 12 mars 2013, le Tribunal Administratif de Strasbourg annule la décision d’autorisation du licenciement, annulation validée par la Cour Administrative d’Appel de Nancy, le 24 avril 2014. Saisi par l’employeur, le Conseil d’Etat rejette le pourvoi formé contre l’arrêt, le 26 janvier 2015, de sorte que le salarié dispose d’une décision d’annulation de l’autorisation de son licenciement devenue définitive.

Dans cette hypothèse, en application de l’article L. 2422-4 du Code du travail, le salarié peut, soit solliciter sa réintégration et obtenir le paiement d’une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration (1) soit, à défaut de réintégration, réclamer le paiement d’une telle indemnité jusqu’à l’expiration du délai de deux mois à compter de la notification de la décision d’annulation de la décision d’autorisation (2).

Résiliation judiciaire ayant les effets d’un licenciement nul

Le 28 septembre 2017, le Conseil de prud’hommes prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur. La Cour d’appel de Colmar, par arrêt en date du 25 octobre 2017, confirme le jugement mais fait produire à la résiliation judiciaire les effets d’un licenciement nul en raison de la violation du statut protecteur. En effet, la Cour retient que la rupture, par l’effet de la résiliation judiciaire, est intervenue sans autorisation préalable de licenciement de l’inspection du travail. La Société est condamnée à 80.000 € à titre de dommages et intérêts en raison de la rupture du contrat de travail, outre 234.726 € à titre de dommages et intérêts pour violation du statut protecteur. En revanche, la Cour d’appel déboute le salarié de sa demande formulée sur le fondement de l’article L. 2422-4 du Code du travail, au motif que « l’absence d’autorisation de licenciement n’est pas assimilable à l’annulation d’une décision d’autorisation devenue définitive ».

La décision

L’employeur forme un pourvoi arguant que faute d’avoir sollicité sa réintégration, le contrat de travail du salarié a été rompu par l’effet du licenciement, bien que l’autorisation administrative ait été ensuite annulée. Il estime ainsi que le juge prud’homal se trouvait dans l’impossibilité de se prononcer, à nouveau, sur la rupture du contrat et donc sur le bien-fondé de la demande de résiliation judiciaire, bien que la saisine de cette juridiction soit antérieure à la rupture.

Au visa des articles L. 2422-4, L. 2411-1 et L. 2411-22 du Code du travail, la Cour casse l’arrêt de la Cour d’appel au motif que « le contrat de travail du salarié protégé, licencié sur le fondement d’une autorisation administrative ensuite annulée, et qui ne demande pas sa réintégration, est rompu par l’effet du licenciement » et juge que « ces dispositions font obstacle à ce que la juridiction prud’homale se prononce sur la demande de résiliation judiciaire formée par le salarié protégé, même si sa saisine est antérieure à la rupture ».

La portée

Cette décision mérite d’être étudiée à la lumière du régime de droit commun de la résiliation judiciaire. Classiquement, la Cour retient qu’en cas de résiliation judiciaire introduite antérieurement à la notification d’un licenciement, il appartient au juge de se prononcer, d’abord, sur le bien-fondé de la demande de résiliation judiciaire (Cass. Soc., 10 mai 2012, n° 10-21.690).

Au cas d’espèce, le juge n’a pu que constater que le salarié n’avait pas sollicité sa réintégration consécutivement à l’annulation de l’autorisation de licenciement. Le contrat ne pouvait donc être considéré comme fictivement « ressuscité ». Logiquement, la Cour en déduit que le contrat de travail ne pouvait donc être, à nouveau, rompu et que l’employeur ne pouvait donc pas être condamné, en sus de l’indemnité prévue à l’article L. 2422-4 du Code du travail, aux conséquences indemnitaires d’une résiliation judiciaire produisant les effets d’un licenciement nul.

Force est de constater que la Cour donne toute primauté à l’article L. 2422-4 du Code du travail et ses effets indemnitaires, estimant qu’il fait obstacle à ce que le juge se prononce sur une demande de résiliation judiciaire, pourtant introduite antérieurement au licenciement, lorsque le salarié n’a pas sollicité sa réintégration.

La question se pose de savoir quelle aurait été la position de la Cour si le salarié avait sollicité sa réintégration, le juge judiciaire pouvant, dans cette hypothèse, et il semble valablement, se prononcer sur le bien-fondé de la résiliation judiciaire et les indemnités afférentes (indemnisation pour violation du statut protecteur, indemnités de rupture, et le cas échéant, indemnisation prévue par l’article L. 2422-4 du Code du travail).

Virginie Audet
Avocate associée | +33 (0)144 94 96 00 | societe@actanceavocats.com | + posts

Virginie Audet est avocat depuis 2007 et a rejoint le Cabinet Actance en 2013 après avoir exercé au sein du Département Droit social du Cabinet Fidal. Elle est diplômée du DESS Droit et Pratique des Relations de Travail de l’Université de Toulon. Elle apporte aujourd’hui son expertise en conseil à nos clients en les accompagnant dans leur prise de décision et dans la définition de leur stratégie en matière de relations sociales et de gestion des ressources humaines. Elle dispose d’une solide expérience dans l’animation de formations auprès des DRH, services juridiques et managers, et assure également la gestion des contentieux.

Pascal Flécheau
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