Antonin Descamps et Laurent Jammet reviennent sur l’arrêt du 6 janvier 2021, amené à impacter l’important contentieux relatif aux forfaits-jours.
Par un arrêt publié en date du 6 janvier 2021 (Cass. soc., 6 janvier 2021, n°17-28.234), la Cour de cassation est venue préciser quelles étaient les conséquences de la privation d’effet d’une convention de forfait-jours : l’employeur est en droit de solliciter le remboursement des jours de repos accordés en contrepartie de l’exécution de ladite convention.
Le litige concernait un salarié soumis à une convention de forfait annuel de 216 jours, conclue sur le fondement de l’article 57 de la convention collective nationale des activités industrielles de boulangerie et pâtisserie.
Le salarié sollicitait la privation d’effet de sa convention de forfait et, par voie de conséquence, le paiement d’heures supplémentaires, dans la mesure où l’employeur n’aurait pas respecté les obligations imposées par l’article précité.
Dans l’hypothèse où il était fait droit à cette demande, et donc à titre subsidiaire, l’employeur sollicitait le remboursement des jours de repos dont le salarié avait bénéficié en exécution de cette convention.
En faisant droit à cette seconde demande, la Cour de cassation précise les contours du contentieux relatif aux conventions de forfait.
Le présent arrêt fait tout d’abord application de solutions jurisprudentielles déjà établies en la matière :
La charge de la preuve du respect des stipulations de l’accord collectif destinées à assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés soumis au régime du forfait-jours.
Contrairement au décompte du nombre d’heures de travail accomplies dont la charge de la preuve est partagée entre l’employeur et le salarié, la preuve du respect des stipulations de l’accord collectif destinées à assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés soumis au régime du forfait-jours repose uniquement sur l’employeur (Cass. soc., 19 déc. 2018, n° 17-18.725).
Cette charge de la preuve est logique au regard de l’article 1153 du Code civil qui prévoit que « celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation ».
La sanction attachée au non-respect des garanties imposées par l’accord collectif ou la convention individuelle organisant le forfait-jours.
La convention collective d’entreprise ou de branche, et, à défaut, la convention individuelle de forfait-jours, doit organiser, à la charge de l’employeur, une obligation de contrôle du nombre de jours travaillés par le salarié et de suivi régulier de sa charge de travail (articles L. 3121-64 et L. 3121-65 du Code du travail).
Dans les faits de l’espèce, ce point ne soulevait pas de difficulté puisque l’article 57 de la convention collective prévoyait bien un contrôle mensuel des jours travaillés par le salarié et un suivi annuel de sa charge de travail.
Encore fallait-il que l’employeur les applique, ce qu’il n’établissait pas.
Dans pareille hypothèse, la Cour de cassation considère que la convention de forfait est alors privée d’effet (Cass. soc. 22 juin 2016 n°14-15.171).
Une telle privation d’effet ne vaut que pour la période où l’employeur ne se conforme pas à ses obligations et la convention de forfait pourrait donc de nouveau s’appliquer si l’employeur établissait par la suite se conformer aux garanties conventionnelles.
A contrario, lorsque les dispositions conventionnelles ne répondent pas aux exigences légales et que l’employeur ne procède à aucun contrôle ni aucun suivi, la convention individuelle est alors considérée comme nulle et n’ayant jamais existé.
L’application de la durée légale de droit commun pour la période où la convention de forfait est suspendue.
Les dispositions relatives à la durée hebdomadaire, soit 35 heures par semaines (article L. 3121-27 du code du travail), à la durée quotidienne maximale de travail, soit 10 heures (article L. 3121-18 du code du travail), et à la durée maximale hebdomadaire de travail (articles L. 3121-20 et L. 3121-22 du code du travail) trouvent à s’appliquer lorsque la convention est privée d’effet.
Le salarié peut alors prétendre au paiement d’heures supplémentaires, au-delà des 35 heures hebdomadaires, et de repos compensateur.
Tel était le cas dans la présente espèce, le salarié établissant par des pièces précises (planning des heures et jours de travail, tableaux de calcul des heures supplémentaires) la réalisation de telles heures, sans que l’employeur ne produise d’éléments sur les horaires effectivement réalisés par le salarié, ou de nature à contester utilement les récapitulatifs fournis par celui-ci.
En revanche, la possibilité pour l’employeur de se prévaloir de la privation totale d’effet de la convention de forfait-jours n’était pas certaine.
En effet, deux logiques pouvaient conduire à des solutions opposées :
- soit de considérer que les manquements de l’employeur ne devaient pas conduire à priver le salarié des avantages dont il avait bénéficié en application de ce forfait, en l’espèce l’octroi de jours de repos.
Cette solution, retenue par la Cour d’appel, pouvait s’analyser en une sanction à l’encontre de l’employeur, responsable de l’inapplication de la convention.
- soit de considérer que l’inapplication de la convention rendait la contrepartie de la forfaitisation sans objet.
Tel était l’argument soulevé par l’employeur et retenu par la Cour de cassation : la forfaitisation et sa contrepartie en repos constituent « un tout avec le régime forfait et un avantage indissociable ».
Cette solution est conforme à celle rendue par la Cour de cassation en matière d’inopposabilité d’une convention de forfait en heures (Cass. Soc., 13 mars 2019 n° 18-12.926).
En conséquence, les jours de repos dont a bénéficié le salarié et qui lui ont été payés par l’employeur étaient indus.
Ils doivent donc être remboursés conformément à l’article 1302-1 du Code civil (anciennement article 1376 du même code) sur le fondement du paiement de l’indu.
Cette nouvelle solution jurisprudentielle est amenée à être largement mise en œuvre dans l’important contentieux relatif aux forfaits-jours.
Sur le fondement de cet arrêt, il est probable que la même solution soit retenue en cas de nullité de la convention de forfait.
En revanche, la question du remboursement de l’indu sollicité par l’employeur à propos d’autres contreparties à la forfaitisation n’a pas été tranchée. En principe, pour les mêmes raisons (remise en l’état globale au regard du seul régime des 35 heures), une telle demande n’apparait pas comme étant illégitime.
En effet, devant la Cour d’appel, l’employeur sollicitait également le remboursement de la majoration de salaire qui avait été accordée en contrepartie de la convention de forfait.
La Cour de cassation est restée silencieuse sur ce point et de nouvelles décisions à venir pourraient apporter les éclaircissements nécessaires.
Laurent Jammet
Laurent Jammet est titulaire d’un DESS de droit et pratique des relations de travail et d’un DEA de droit privé de l’Université de Montpellier. Il était collaborateur puis associé national au sein du Cabinet Barthelemy de 1991 à 2005. Laurent Jammet est associé d’Actance, dont il est l’un des fondateurs. Ses domaines d’interventions principaux sont la négociation collective, les opérations de réorganisation, les transferts d’entreprises et les contentieux collectifs. Avocat, spécialiste en droit du travail et droit de la sécurité sociale et de la protection sociale complémentaire, il intervient dans le cadre de l’enseignement en droit social au sein des Master II DPRT des Universités de Montpellier et de Paris II Panthéon-Assas et est chargé d’enseignement à l’IEP d’Aix en Provence pour le Master en RH. Il a été formateur à l’Ecole du Barreau de Paris (exercice de plaidoirie en droit social). Il est l’auteur de nombreuses publications.
Antonin Descamps
Master 2 - Droit Social - Recherches - Université Aix-Marseille