Le financement patronal des syndicats Le financement patronal des syndicats

Par un arrêt de principe du 27 janvier 2021 qui sera publié au rapport annuel, la Cour de cassation précise les conditions de validité d’un financement par l’employeur des syndicats dans l’entreprise (Cass, soc, 27 janvier 2021 n°18-10672). Sébastien Leroy, avocat associé du cabinet, revient à cette occasion sur les principales sources de financement des syndicats avant de détailler ces conditions.

Un financement reposant, en principe, sur les cotisations des adhérents

En qualité de groupement ayant exclusivement pour objet l’étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels, des personnes mentionnées dans ses statuts (C. trav. art. L.2141-4), un syndicat professionnel devrait tirer sa principale source de revenu des cotisations versées par ses adhérents.

A ce titre, la collecte des cotisations auprès des adhérents peut s’effectuer dans les locaux de l’entreprise (C. trav. art. L. 2142-2).

Face à la désaffection des salariés envers les syndicats, d’autres sources de financement ont été mises en place.

Un fonds paritaire de financement du dialogue social a été institué par la loi n°2014-288 du 5 mars 2014.

Il est alimenté essentiellement par une contribution des employeurs et une subvention de l’Etat.

Ce fonds bénéficie aux syndicats représentatifs au niveau national et interprofessionnel ou ayant, selon leur statut, une vocation nationale et interprofessionnelle et une audience supérieure à 3% (C. trav. art. L.2135-9 et suivants).

Il a vocation à financer les missions d’intérêts générales remplies par les organisations syndicales.

Les confédérations bénéficient de ce financement à charge pour elles, ensuite, de reverser une quote-part à leurs fédérations et unions locales.

La prise en charge par les employeurs du salaire (et de la carrière) de salariés mis à la disposition d’une organisation syndicale

Cette pratique, qui n’était encadrée par aucun texte, a été consacrée par la loi 2008-789 du 20 août 2008 (C. trav. art. L.2135-7 et L.2135-8).

La prise en charge par les employeurs des cotisations syndicales

La pratique du « chèque syndical » est née chez l’assureur AXA en 1990 et a depuis été reprise dans certaines grandes entreprises.

Elle figurait au programme de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron, mais ne fût finalement pas intégrée dans les ordonnances du 22 septembre 2017, face à l’opposition de certaines organisations syndicales à un quelconque financement patronal.

Elle consiste a attribuer un « bon de financement d’un syndicat » ou « chèque syndical » à chaque salarié. Celui-ci fait, ensuite, le choix de s’en débarrasser ou de le remettre au syndicat de son choix durant une période de collecte.

Ce dernier présente à l’employeur les chèques collectés qui, multipliés par la valeur unitaire du chèque, détermine le montant de la subvention patronale revenant au syndicat.

Une autre méthode consiste pour l’employeur à rembourser au salarié la cotisation individuelle qu’il a choisi de verser à un syndicat (dont le montant est prédéterminé), une fois soustraite la partie fiscalement déductible de l’impôt sur le revenu (crédit d’impôt égal à 66% de la cotisation pour les salariés n’ayant pas opté pour la déduction de leurs frais réels).

C’est cette dernière méthode et non celle du « chèque syndical » qui a été soumise au contrôle de la Cour de cassation.

Un financement patronal sous conditions

L’employeur peut-il véritablement contribuer au financement des organisations syndicales sans violer l’indépendance du syndicat ?

L’interdiction prévue à l’article L. 2141-6 du Code du travail, selon laquelle l’employeur ne peut prélever les cotisations syndicales sur les salaires de son personnel et les payer au lieu et place de celui-ci, ne doit-elle pas être interprétée largement et faire obstacle à la prise en charge par l’employeur du coût des cotisations syndicales des salariés ?

Dans l’affaire jugée par la Cour de cassation, un accord collectif prévoyait le remboursement par l’employeur, aux salariés syndiqués, « du reste à charge des cotisations syndicales individuelles versées aux syndicats représentatifs, après soustraction de la partie fiscalement déductible de l’impôt sur le revenu ».

Afin que l’employeur ne puisse connaître l’identité des salariés contribuant au financement des syndicats, l’accord prévoyait l’intervention d’un organisme extérieur indépendant. Celui-ci percevait la contribution patronale, la reversait aux organisations syndicales concernées, qui elles-mêmes remboursaient leurs adhérents. L’employeur était simplement informé du nombre total d’adhérents à chaque syndicat bénéficiaire.

Un syndicat a saisi le juge des référés pour solliciter la suspension de ces dispositions. La Cour d’appel a fait droit à sa demande au motif que l’employeur ne pouvait avoir accès à des informations non prévues par la loi, le mécanisme de remboursement mis en place lui permettant de connaître le nombre d’adhérents de chaque syndicat.

La Cour de cassation confirme la décision d’appel en se fondant, toutefois, sur des motifs différents.

Elle souligne qu’un accord collectif peut instituer des mesures de nature à favoriser l’activité syndicale en application de l’article L.2141-10 du Code du travail, et, dans ce cadre, prévoir un financement patronat en respectant :

la liberté syndicale :

L’accord ne devra pas porter atteinte à la liberté du salarié d’adhérer ou de ne pas adhérer au syndicat de son choix,

Le dispositif devra donc être totalement facultatif.

Afin de garantir cette liberté, l’accord ne doit pas permettre à l’employeur de connaître l’identité des salariés qui font le choix d’adhérer à un syndicat.

L’anonymat des adhérents, corolaire de la liberté précitée, doit être respecté.

la neutralité et le principe d’égalité entre syndicats :

Le financement patronal devra bénéficier tant aux syndicats représentatifs qu’aux syndicats non représentatifs de l’entreprise.

La collecte des cotisations syndicales dans l’entreprise auprès des adhérents est, en effet, une prérogative des sections syndicales (C. trav. art. L.2142-2). Si une telle section peut être créée par un syndicat représentatif, elle peut aussi l’être par un syndicat qui ne l’est pas.

l’Indépendance des syndicats envers l’employeur

Le montant de la participation de l’employeur ne peut représenter la totalité du montant de la cotisation due par le salarié, le cas échéant après déductions fiscales.

Selon la Cour de cassation, l’accord collectif doit laisser à la charge des salariés une part de la cotisation pour respecter le critère d’indépendance.

Bien que la Cour ne le précise pas, il est vraisemblable que cette part ne puisse être dérisoire.

En l’espèce, si l’accord collectif respectait bien la liberté syndicale, dont la condition d’anonymat contrairement a ce qui avait été jugé par la Cour d’appel, il ne répondait pas aux conditions tenant au respect :

  • de la neutralité et de l’égalité entre syndicats : en bénéficiant uniquement aux organisations syndicales représentatives ;
  • de l’indépendance envers l’employeur : en prévoyant le remboursement de la totalité du montant de la cotisation due par le salarié.

Il en résulte que la disposition litigieuse de l’accord constituait un trouble manifestement illicite.

Compte tenu de l’importance des principes rappelés ci-dessus, cette jurisprudence sera certainement appliquée aux accords prévoyant la pratique du « chèque syndical ».

La révision de ces accords devrait être envisagée, surtout, si un ou plusieurs syndicats de l’entreprise concernée rejette tout financement patronal.

Sébastien Leroy
Avocat associé | +33 (0)144 94 96 00 | societe@actanceavocats.com | + posts

Sébastien est titulaire d’un Master II Droit et Pratique des Relations de travail de l’Université Panthéon Assas. Il a collaboré au sein du Cabinet Barthélémy & Associés pendant 2 années avant de rejoindre le Cabinet Actance en janvier 2007. Sébastien exerce une activité de conseil au quotidien ou dans le cadre de projets de réorganisation auprès d’une clientèle composée de PME ou de groupes côtés ou non. Il assure la défense de ces mêmes clients devant les différentes juridictions compétentes en droit social, notamment, à l’occasion de contentieux impliquant les instances représentatives du personnel. Sébastien a développé des compétences spécifiques en matière de restructuration, aménagement du temps de travail et épargne salariale.