La liberté de la négociation collective La liberté de la négociation collective
Marie Trebuchet et Loïc Touranchet reviennent sur un arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 15 septembre 2020.
Une entreprise peut-elle engager des négociations en vue de la conclusion d’un accord collectif sur la rupture conventionnelle collective (RCC) alors même que le dispositif légal en vigueur ne lui est pas applicable ?
C’est à cette question que la Cour d’appel de Paris a répondu dans une décision rendue le 15 septembre 2020.
Au début de l’année 2019, la Caisse des dépôts et consignations et les organisations syndicales représentatives ont engagé une négociation afin de conclure un accord collectif global applicable à l’ensemble du personnel de la caisse, que leur statut relève du droit privé ou du droit public, portant notamment sur un accord de rupture conventionnelle collective (RCC).
Cet accord a été conclu le 24 septembre 2019 entre la Caisse des dépôts et consignations et la majorité des syndicats représentatifs. Or, à la date d’engagement des négociations il n’existait pas de dispositif légal pour les RCC dans le secteur public.
CHAMP D’APPLICATION DE LA RCC
La rupture conventionnelle collective est une création des ordonnances du 22 septembre 2017. Ce dispositif offre la possibilité à une entreprise de prévoir, par accord collectif validé par l’administration des suppressions d’emploi, en dehors de tout licenciement et raisons économiques.
Initialement, le dispositif de la rupture conventionnelle collective avait vocation à s’appliquer aux seuls salariés de droit privé.
Or, le personnel de la Caisse des dépôts et consignations se compose d’agents régis par le statut général de la fonction publique de l’Etat et d’agents contractuels de droit public. Dès lors le dispositif de rupture conventionnelle collective n’était pas applicable à cette institution.
Néanmoins, la loi n°2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique a rendu applicables aux fonctionnaires et agents contractuels de droit public de l’établissement, à l’exception de ceux qui sont employés pour une durée déterminée, les dispositions du Code du travail autorisant la conclusion d’accords portant rupture conventionnelle collective.
C’est dans ce contexte que la Direccte a validé par deux décisions en dates du 9 octobre 2019 puis du 15 octobre 2019 l’accord sur la rupture conventionnelle collective négocié par la Caisse des dépôts et consignations.
Ce dernier est ainsi entré en application le 24 septembre 2019.
LITIGE SUR LE LANCEMENT DES NEGOCIATIONS
Insatisfaits, deux syndicats ont sollicité du tribunal administratif de Paris l’annulation des décisions de validation de l’accord rendues par la Direccte en octobre 2019 aux motifs que l’accord sur la rupture conventionnelle collective ne pouvait être valide dans la mesure où les négociations avaient commencé préalablement à la promulgation de la loi autorisant les ruptures conventionnelles collectives au sein de la fonction publique.
Se posait alors la question de savoir : existe t-il en droit du travail un principe général qui interdit aux partenaires sociaux de négocier sur certains sujets ?
A l’appui de leur demande, les syndicats soutenaient que les négociations avaient été ouvertes dès le 18 janvier 2019, soit plus de six mois avant l’entrée en vigueur de la loi du 6 août 2019 autorisant l’inclusion des fonctionnaires et agents de la Caisse des dépôts et consignations. Pour les syndicats, ces négociations, eu égard à leur objet, ne pouvaient être regardées comme légales, effectives et loyales.
Les syndicats ajoutaient que la validation était d’autant plus irrégulière que les représentants du personnel de l’établissement public avaient été consultés le 11 juin 2019, soit avant l’entrée en vigueur de la loi du 6 août 2019 et qu’aucune information ne leur avait été délivrée par la suite, postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 6 août 2019.
Les syndicats considéraient donc que l’entrée en vigueur de la loi en août 2019 ne pouvait avoir pour effet de rendre valide a posteriori les négociations.
En réponse, la Caisse des dépôts et consignations, représentée par notre Confrère Frédéric Salat-Baroux, expliquait que le fait que la loi ne permette pas, au moment des négociations, la mise en œuvre de ruptures conventionnelles collectives pour le personnel de la Caisse des dépôts et consignations ne constituait pas un vice de nature à entacher l’accord de nullité.
La Caisse soutenait qu’il n’existait pas de principe de droit empêchant l’engagement de négociations.
POSITION DE LA COUR D’APPEL
La Cour d’appel reprend le raisonnement qui avait été tenu précédemment par le Tribunal administratif de Paris.
Selon elle la négociation n’était pas déloyale dès lors que :
- Les syndicats avaient été informés utilement tant sur le périmètre de la négociation que sur les conditions entourant la conclusion de l’accord ;
- Les syndicats étaient informés tout au long de la négociation des amendements déposés sur le sujet visant à étendre les dispositions du code du travail sur la rupture conventionnelle collective aux fonctionnaires et agents publics contractuels à durée indéterminée de la Caisse ;
- Enfin les syndicats avaient été avertis que la conclusion de l’accord en cours de négociation était subordonnée à l’adoption de ce projet de loi.
En conséquence comme l’objet des discussions était licite, le consentement des signataires de l’accord ne pouvait être considéré comme vicié.
Dès lors les syndicats n’étaient pas fondés à soutenir que des vices affectant les conditions de négociation de l’accord avaient entaché celui-ci de nullité.
En conclusion, la Cour considère que le fait que les négociations aient été engagées en janvier 2019 alors qu’aucune disposition législative ne permettait encore de conclure un accord collectif portant rupture conventionnelle collective d’agents de droit public à la Caisse des dépôts et consignations n’a pas eu pour effet d’entacher son objet d’illicéité.
La Cour rappelle que le seul risque qui avait été pris par la Caisse des dépôts et consignations était celui de négocier en vain un accord que l’administration aurait été tenue de refuser de valider si les conditions légales propres à la rupture conventionnelle collective des agents publics de la Caisse des dépôts et consignations n’avaient pas été satisfaites.
Dès lors rien n’interdit, en droit du travail, aux partenaires sociaux de procéder à une négociation collective anticipée sur le fondement de bases légales pas encore adoptées et promulguées.
Cet arrêt confirme donc que les partenaires sociaux sont libres de déterminer les thèmes sur lesquels ils négocient.
Le Cabinet Actance se tient à votre disposition pour répondre à vos questions et vous accompagner dans la mise en œuvre de négociations.
Loïc Touranchet
Loïc Touranchet a prêté Serment le 24 février 2000. Il a pratiqué 6 années au sein du cabinet Barthélémy & Associés et a participé à la création du cabinet Actance. Il est titulaire d’un Master II de droit Social et d’un Master II Juriste d’Affaires et bénéficie des certificats de spécialisation de l’ordre des Avocats en Droit du travail, ainsi qu’en Droit de la sécurité sociale et de la protection sociale (depuis 2007), Il est chargé d’enseignement en droit social au CIFFOP – Université Paris II Panthéon-Assas depuis 2005. Loïc TOURANCHET est associé au cabinet Actance depuis 2008 et dirige une équipe généraliste en droit Social. Il accompagne les groupes dans le cadre de la négociation collective (NAO, Durée du travail, GPEC, ...), de la gestion de dossier à risques en phase de pré-contentieux et de contentieux. Il bénéficie d’une forte expérience en matière de restructuration et notamment redressement et liquidation judiciaire. Il intervient également avec son équipe sur les contentieux à risques et collectifs (Co-emploi, primes collectives, contestations PSE, …). Il intervient également sur le secteur non marchand.
Marie Trebuchet
Master 2 Droit des Relations de Travail dans l'entreprise - Université de Bordeaux