Actu-tendance n° 604
Jurisprudence – Relations individuelles
Rappel : Pour être licite, la clause de non-concurrence doit respecter 5 conditions cumulatives (Cass. Soc., 10 juillet 2002, n° 99-43.334) :
être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise ;
être limitée dans le temps ;
être limitée dans l’espace ;
tenir compte des spécificités de l’emploi du salarié ;
comporter pour l’employeur l’obligation de verser au salarié une contrepartie financière.
La contrepartie financière de la clause de non-concurrence peut-elle être qualifiée de clause pénale permettant ainsi au juge de moduler son montant ?
Cass. Soc., 13 octobre 2021, n° 20-12.059
Dans cette affaire, le contrat de travail d’un salarié contenait une clause de non-concurrence dont la contrepartie financière était supérieure aux minima prévus par la convention collective. Après avoir démissionné, le salarié demande en justice le paiement de cette contrepartie financière.
Le conseil des prud’hommes fait droit à la demande du salarié mais réduit le montant de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence à proportion des dispositions relatives aux minima de la convention collective.
La cour d’appel, saisie par le salarié, infirme ce jugement en retenant que la clause de non-concurrence n’est pas une clause pénale dont le montant pourrait être réduit par le juge car elle a la nature d’un salaire.
Soutenant, au contraire, que la contrepartie financière d’une clause de non-concurrence est bien une clause pénale puisqu’elle a la nature d’une indemnité compensatrice de salaire tendant à sauvegarder la liberté fondamentale d’exercer une activité professionnelle et à compenser l’atteinte qui y est portée, l’employeur se pourvoit en cassation.
La Haute juridiction rejette le pourvoi. Elle considère que la contrepartie financière de la clause de non-concurrence – ayant la nature d’une indemnité compensatrice de salaire stipulée en conséquence de l’engagement du salarié de ne pas exercer, après la cessation du contrat de travail, d’activité concurrente à celle de son ancien employeur, et ne constituant pas une indemnité forfaitaire prévue en cas d’inexécution d’une obligation contractuelle – ne constitue pas une clause pénale que le juge peut moduler.
Note : Cette décision s’inscrit dans la ligne jurisprudentielle de la Cour de cassation attribuant un caractère salarial à la contrepartie financière de la clause de non-concurrence (Cass. Soc., 26 septembre 2002, n° 00-40.461).
Elle incite à faire preuve de vigilance dans la fixation du montant d’une telle contrepartie.
Rappel : Selon une jurisprudence désormais bien établie, la Cour de cassation exige que toute convention de forfait en jours soit conclue dans le cadre d’un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail (Cass. Soc., 17 décembre 2014, n° 13-22.890), des repos, journaliers et hebdomadaires, des durées raisonnables de travail (Cass. Soc., 5 octobre 2017, n° 16-23.106) ainsi que du caractère raisonnable de l’amplitude et de la charge de travail (Cass. Soc., 27 avril 2017, n° 16-13.654).
Prévoir dans l’accord collectif le nombre maximum de jours travaillés, un contrôle annuel des jours travaillés et des jours de repos ainsi qu’un suivi hebdomadaire du respect des règles en matière de temps de travail suffit-il à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition du travail dans le temps ?
Cass. Soc., 13 octobre 2021, n° 19-20.561
Après avoir démissionné, un ancien directeur d’agence bancaire saisit le conseil des prud’hommes pour obtenir la nullité de sa convention individuelle de forfait en jours conclue en application de la convention collective propre à l’établissement de crédit qui l’employait.
La cour d’appel déboute le salarié de sa demande. D’une part, parce que le recours au forfait jours était autorisé par des dispositions conventionnelles. D’autre part, parce que la convention individuelle prévoyait que la durée quotidienne de travail devait rester en moyenne inférieure à la durée maximale prévue pour les personnes dont le décompte du temps de travail s’effectuait en heures et qu’en cas de situation durable d’amplitude journalière forte de travail, un point serait fait avec la hiérarchie pour rechercher des moyens d’y remédier.
La décision des juges du fond est censurée par la Cour de cassation. Analysant uniquement les dispositions conventionnelles permettant le recours au forfait jours, et non les dispositions de la convention individuelle, elle constate que ces dispositions conventionnelles se bornent à prévoir :
- que le nombre de jours travaillés dans l’année est au plus de 205 jours, compte tenu d’un droit à congé payé complet ;
- que le contrôle des jours travaillés et des jours de repos est effectué dans le cadre d’un bilan annuel ;
- qu’un suivi hebdomadaire vérifie le respect des règles légales et conventionnelles les concernant en matière de temps de travail, notamment les onze heures de repos quotidien.
Pour la Haute juridiction, ces dispositions n’instituant aucun suivi effectif et régulier permettant à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, elles ne sont pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé. Elle en déduit que la convention de forfait en jours est nulle.
Note : Cette décision rappelle l’attention particulière qu’il convient de prêter, dans le cadre de l’élaboration d’un accord collectif prévoyant le recours au forfait jours, au suivi de la charge de travail, notamment en prévoyant expressément des dispositifs de suivi effectif et régulier.
Etant précisé que l’absence de cette mention légale dans les accords collectifs conclus avant le 10 août 2016 ne remet pas en cause les conventions de forfait conclues sur la base de ces accords collectifs à condition que l’employeur (C. trav. art. L 3121-65, I, dispositions non applicables dans cette affaire) :
- établisse un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées, ce document pouvant être renseigné par le salarié sous la responsabilité de l’employeur ;
- s’assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;
- qu’un suivi hebdomadaire vérifie le respect des règles légales et conventionnelles les concernant en matière de temps de travail, notamment les onze heures de repos quotidien.
Jurisprudence – Relations collectives
Rappel : En principe, la désignation d’un délégué syndical intervient au niveau de l’établissement distinct tel que défini pour la mise en place des CSE d’établissement (Cass. Soc., 26 octobre 2011, n° 11-11.409). Par exception, la désignation d’un délégué syndical peut également intervenir à un niveau plus restreint, à savoir au sein de l’établissement regroupant des salariés placés sous la direction d’un représentant de l’employeur et constituant une communauté de travail ayant des intérêts propres, susceptibles de générer des revendications communes et spécifiques (C. trav. art. L 2143-3, al. 4).
Un accord collectif déterminant le nombre et le périmètre des établissements distincts pour la mise en place de CSE d’établissement peut-il empêcher la désignation d’un délégué syndical au niveau plus restreint de l’établissement distinct au sens du droit syndical ?
Cass. Soc., 29 septembre 2021, n° 20-15.870
A l’occasion de la mise en place du CSE dans une entreprise, un accord collectif avait été conclu pour regrouper plusieurs sites au sein d’un établissement distinct unique pour la mise en place d’un CSE d’établissement. Peu de temps après, un délégué syndical avait été désigné au niveau de l’un de ces sites.
L’employeur demandait l’annulation de cette désignation auprès du tribunal judiciaire puis, n’ayant pas eu gain de cause, auprès de la Cour de cassation. Selon lui, la désignation du délégué syndical ne pouvait intervenir qu’au niveau du périmètre du CSE d’établissement et non au niveau d’un des sites regroupés.
Cette argumentation n’est pas suivie par la Cour de cassation. Celle-ci commence par rappeler que les dispositions de l’alinéa 4 de l’article L 2143-3 du Code du travail donnent la possibilité de désigner un délégué syndical au sein d’un établissement regroupant des salariés placés sous la direction d’un représentant de l’employeur et constituant une communauté de travail ayant des intérêts propres, susceptibles de générer des revendications communes et spécifiques. La Haute juridiction précise ensuite que si ces dispositions n’ouvrent qu’une faculté aux organisations syndicales représentatives, elles sont d’ordre public quant au périmètre de désignation des délégués syndicaux. Il en résulte qu’un accord collectif concernant la mise en place du CSE et des CSE d’établissement ne peut pas priver un syndicat du droit de désigner un délégué syndical au niveau d’un établissement au sens de l’article L 2143-3 précité. Enfin, la Cour de cassation observe que, en l’espèce, l’accord concerné ne prévoyait rien en matière de désignation des délégués syndicaux et que toutes les conditions pour caractériser un établissement au sens de l’article L 2143-3 du Code du travail étaient réunies. Elle en conclut que la désignation litigieuse était valable.
Note : La désignation d’un délégué syndical est donc toujours possible dans un sous-ensemble de celui retenu par accord collectif pour la mise en place du CSE à condition toutefois de prouver que le cadre de désignation retenu correspond bien à une communauté de travail ayant des intérêts propres placée sous la direction d’un représentant de l’employeur.
Rappel : La convention de branche définit les conditions d’emploi et de travail des salariés. Elle peut en particulier définir les garanties qui leur sont applicables en matière de salaires minima hiérarchiques (C. trav. art. L 2253-1, 1°). Un accord d’entreprise ne peut y déroger que s’il prévoit des « garanties au moins équivalentes » (C. trav. art. L 2253-1, al. 15).
Les négociateurs de branche sont-ils libres de définir les éléments relevant des salaires minima hiérarchiques ?
CE, 7 octobre 2021, nos 433053, 433233, 433251, 433463, 433473 et 433534
Au sein d’une branche, les partenaires sociaux avaient conclu un avenant à la convention collective relatif aux minima conventionnels et instaurant un salaire minimum annuel garanti. L’avenant avait été étendu avec exclusion des dispositions prévoyant que les minima conventionnels prévalant sur les accords d’entreprise incluaient le salaire de base et certains compléments de salaire. L’administration considère, en effet, que les salaires minima hiérarchiques ne peuvent pas intégrer les primes ou majorations.
Les organisations syndicales demandent l’annulation pour excès de pouvoir de l’arrêté d’extension.
Le Conseil d’Etat fait droit à leur demande. Il retient que la notion de salaires minima hiérarchiques n’est pas définie par les dispositions légales issues de l’ordonnance du 22 septembre 2017 et que les travaux parlementaires n’apportent pas d’éclairage supplémentaire. Il en conclut que les partenaires sociaux de branche sont libres de définir les salaires minima hiérarchiques et de prévoir qu’ils valent soit pour les seuls salaires de base, soit pour les salaires de base et certains compléments de salaire.
Note : Cette décision remet en cause la position que tenaient le Ministère du travail et l’administration quant à la définition de la notion de salaires minima hiérarchiques pour l’application de l’article L 2253-1 du Code du travail.
Les négociateurs de branche ont donc désormais une marge de manœuvre plus grande pour décider des éléments qu’ils considèrent comme relevant des minima hiérarchiques, et limiter d’autant la possibilité pour les entreprises d’y déroger par accord collectif.
Rappel : Un accord collectif peut déterminer le contenu d’une rupture conventionnelle collective excluant tout licenciement pour atteindre les objectifs qui lui sont assignés en termes de suppression d’emplois (C. trav. art. L 1237-19, al. 1).
Ce type de rupture, exclusive du licenciement ou de la démission, ne peut pas être imposée par l’une ou l’autre des parties (C. trav. art. L 1237-17, al. 2).
Une rupture conventionnelle collective est-elle envisageable dans un contexte de fermeture de site ?
CAA Versailles, 20 octobre 2021, n° 21VE02220
Dans cette affaire, un syndicat souhaitait obtenir l’annulation de la décision par laquelle l’inspection du travail avait validé l’accord collectif portant rupture conventionnelle collective au sein de l’entreprise dans laquelle il était représentatif.
Il soutenait que cet accord visait l’ensemble du personnel d’un site dont la fermeture avait d’ores et déjà été décidée ce qui privait les salariés concernés de la possibilité d’effectuer un réel choix entre le départ volontaire et le maintien dans leur emploi. En effet, le projet de réorganisation présenté au CSE indiquait que le site en question serait fermé puis vendu après avoir transféré ses activités et collaborateurs.
Contrairement au tribunal administratif qui avait rejeté la demande du syndicat, la cour administrative d’appel lui donne raison et annule la décision de l’inspection du travail.
Note : La cour administrative d’appel de Versailles confirme ici la position administrative retenue dans le questions-réponses du Ministère du Travail relatif à la rupture conventionnelle collective mis à jour le 19 avril 2018. L’administration y indique en effet que la rupture conventionnelle collective ne peut et ne doit pas être proposée dans un contexte de difficultés économiques aboutissant de manière certaine à une fermeture de site, ce qui aurait pour effet de fausser le caractère volontaire de l’adhésion au dispositif et de ne pas permettre le maintien dans l’emploi des salariés non-candidats à un départ.
L’employeur qui souhaite mettre en œuvre une rupture conventionnelle collective est donc invité à s’assurer en amont que le contexte dans lequel elle est envisagée permettra une réelle application du principe de volontariat sur lequel est basé ce dispositif.
Législation et réglementation
Conformément aux annonces du Gouvernement et en application d’un décret du 20 octobre 2021, les règles dérogatoires d’utilisation des titres-restaurant, instaurées afin de soutenir les activités d’hôtellerie-restauration très affectées par la crise sanitaire, sont prolongées jusqu’au 28 février 2022.
Ainsi, jusqu’à cette date, les titres-restaurant peuvent être utilisés les dimanches et jours fériés dans la limite d’un plafond journalier de 38 € (au lieu de 19 € habituellement).
Dans une ordonnance du 22 octobre 2021, le juge des référés du Conseil d’Etat valide le décret 2021-1251 du 29 septembre 2021 fixant au 1er octobre 2021 l’entrée en vigueur des nouvelles règles de calcul du salaire journalier de référence, de la durée d’indemnisation et des différés d’indemnisation du régime d’assurance chômage.
Alors qu’il avait suspendu l’entrée en vigueur de ces règles au 1er juillet 2021 par une ordonnance de référé du 22 juin 2021, estimant à cette date que les conditions du marché du travail n’étaient pas réunies pour atteindre l’objectif d’intérêt général de stabilité de l’emploi, le juge des référés du Conseil d’Etat considère cette fois-ci que la situation du marché du travail ne fait plus obstacle à la poursuite de la réforme.
Un projet de décret transmis aux partenaires sociaux le 15 octobre 2021 prévoit de prolonger jusqu’au 30 juin 2022 les aides exceptionnelles à l’embauche d’alternants (majoration de l’aide unique et aide exceptionnelle) mises en place dans le cadre de la crise sanitaire et déjà prolongées à plusieurs reprises.
Ainsi, les contrats en alternance (contrats d’apprentissage ; contrats de professionnalisation conclus avec des salariés de moins de 30 ans) conclus jusqu’au 30 juin 2022 ouvriraient droit à une aide de 5 000 € maximum pour un mineur et de 8 000 € maximum pour un majeur.
Pour bénéficier de cette aide, les entreprises d’au moins 250 salariés doivent s’engager à atteindre un quota d’alternants dans leurs effectifs. Compte tenu de la prolongation envisagée, la date d’appréciation du respect de cette condition serait décalée au 31 décembre 2023. Les entreprises concernées devraient donc adresser à l’Agence de services et de paiement, le 31 mai 2024 au plus tard, une attestation sur l’honneur attestant du respect de leur engagement.
Selon les prévisions de la Commission des comptes de la sécurité sociale pour 2022, le plafond annuel de la sécurité sociale devrait rester fixé à 41 136 €, soit 3 428 € pour le plafond mensuel de la sécurité sociale.
Ces montants devront être confirmés par arrêté d’ici fin novembre-début décembre.
Conformément aux projets de décrets diffusés le 15 octobre 2021, les décrets des 25 et 28 octobre 2021 prolongent jusqu’au 31 décembre 2021 les taux d’allocation et d’indemnité d’activité partielle de 70 % pour :
- les employeurs des secteurs d’activité dont l’activité a été interrompue par décision administrative en raison de la crise sanitaire et leurs salariés ;
- les entreprises qui sont situées dans une circonscription territoriale soumise à des restrictions spécifiques des conditions d’exercice de l’activité économique et de circulation des personnes prises par l’autorité administrative lorsqu’elles subissent une forte baisse de chiffre d’affaires et leurs salariés ;
- les entreprises qui relèvent des secteurs les plus affectés et qui continuent de subir une très forte baisse du chiffre d’affaires et leurs salariés.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2022 a été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 26 octobre dernier.
En matière sociale, les députés ont notamment adopté les dispositions suivantes :
- la possibilité pour les employeurs éligibles à l’aide au paiement des cotisations et contributions sociales d’imputer le solde du montant de cette aide sur les cotisations et contributions sociales dues au titre de l’année 2022;
- la prolongation jusqu’à la fin de l’année 2022 du régime social simplifié des indemnités d’activité partielle;
- la prolongation jusqu’au 31 décembre 2022 des mesures relatives à l’indemnisation des arrêts de travail dérogatoires;
- l’amélioration de la protection sociale et de la couverture en cas d’accident du travail et de maladie professionnelle des travailleurs des plateformes;
- l’extension du dispositif de retraite progressive aux salariés en forfait jours ou heures et aux mandataires sociaux.
Le texte sera examiné par le Sénat du 8 au 16 novembre.