Actu-tendance n° 602
Jurisprudence – Relations individuelles
Rappel : Sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée (CDD) ne peut être rompu avant l’échéance du terme qu’en cas (art. L. 1243-1 et L. 1243-2 du Code du travail) :
de faute grave,
de force majeure,
d’inaptitude constatée par le médecin du travail,
ou lorsqu’il est conclu en application du 6° de l’article L. 1242-2, pour un motif réel et sérieux, 18 mois après sa conclusion puis à la date anniversaire de sa conclusion ;
de conclusion par le salarié d’un CDI.
La rupture anticipée du CDD, qui intervient à l’initiative de l’employeur, en dehors des cas de faute grave, de force majeure ou d’inaptitude constatée par le médecin du travail, ouvre droit pour le salarié à des dommages et intérêts d’un montant au moins égal aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’au terme du contrat, sans préjudice de l’indemnité de fin de contrat prévue à l’article L. 1243-8 (art. L. 1243-4 du même code).
Le salarié a-t-il droit en sus à des dommages et intérêts pour réparer le préjudice causé par la perte de chance de percevoir des gains complémentaires (redevances en l’espèce) ?
Cass. Soc., 15 septembre 2021, n° 19-21.311
Dans cette affaire, un artiste-interprète a conclu un CDD d’une durée minimale de 42 mois avec une société de production.
Aux termes de ce contrat, il concédait à cette société l’exclusivité de la fixation de ses interprétations, de la reproduction sur tous supports, par tout procédé de la communication au public de ses enregistrements audio et, ou audiovisuels d’œuvres musicales pour le monde entier en vue de la réalisation de 3 albums phonographiques.
En contrepartie, le salarié recevait le versement d’un salaire par enregistrement et des redevances assises sur le produit de la vente des enregistrements.
Après la réalisation et la commercialisation du premier album, la société a mis fin au CDD de façon anticipée.
Le salarié a saisi la juridiction prud’homale pour qu’il soit jugé que le contrat avait été abusivement rompu avant le terme fixé et que lui soient alloués :
- D’une part, des dommages-intérêts au titre de l’article L. 1243-4 du Code du travail ;
- D’autre part, des dommages et intérêts liés au préjudice résultant de la perte de chance de percevoir les redevances liées à la vente et à l’exploitation de 2 autres albums.
La Cour d’appel a débouté le salarié de ses demandes en indemnisation d’une perte de chance, estimant que seule la perte de salaires devait être indemnisée.
Pour les juges, les redevances perdues n’avaient pas la nature de salaires car elles auraient été la contrepartie de la cession au producteur des différents droits moraux de l’artiste. Dès lors, elles ne pouvaient pas être indemnisées sur le fondement de l’article L. 1243-4 du Code du travail.
Saisie d’un pourvoi, la Haute juridiction censure la décision d’appel et rappelle que l’article L. 1243-4 du Code du travail, qui fixe seulement le montant minimum des dommages-intérêts dû au salarié, dont le CDD a été rompu avant son terme de manière illicite, à un montant au moins égal aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’au terme du contrat, « ne limite pas le préjudice dont il peut réclamer réparation aux seules rémunérations dont il aurait été privé ».
Le salarié était donc en droit de solliciter et d’obtenir «la réparation d’un préjudice causé par la perte de chance de percevoir des gains liés à la vente et à l’exploitation des albums non produits », à condition qu’il rapporte « la preuve du caractère direct et certain de ce préjudice et que celui-ci constitue une suite immédiate et directe de l’inexécution de la convention ».
Note : Il s’agit d’une confirmation de jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. Soc., 3 juillet 2019, n° 18-12.306 pour des faits assez similaires).
En cas de rupture abusive d’un CDD, l’indemnisation prévue à l’article L. 1243-4 du Code du travail constitue donc un montant minimum que le juge peut dépasser si le salarié rapporte la preuve d’un préjudice complémentaire à celui résultant de la seule perte des salaires (Cass. Soc., 12 mars 2022, n° 99-44.222 en l’espèce un préjudice moral).
Rappel : Lorsque l’employeur envisage de prendre une sanction envers un salarié, il le convoque en lui précisant l’objet de la convocation, sauf si la sanction envisagée est un avertissement ou une sanction de même nature n’ayant pas d’incidence, immédiate ou non, sur la présence dans l’entreprise, la fonction, la carrière ou la rémunération du salarié (art. L. 1332-2 du Code du travail).
L’employeur est-il tenu de convoquer le salarié à un entretien préalable lorsque la convention collective (CCN) subordonne le licenciement d’un salarié à l’existence de 2 sanctions antérieures pouvant être un avertissement ?
Cass. Soc., 22 septembre 2021, n° 18-22.204
Dans cette affaire, un salarié a été licencié pour faute grave après avoir été sanctionné à deux reprises par des lettres d’observation (sanctions de même nature que l’avertissement).
Il a saisi la juridiction prud’homale pour voir juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse, soutenant que les sanctions antérieures prononcées à son encontre étaient irrégulières, en l’absence d’entretien préalable.
Le salarié se référait à la CCN applicable (établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1996), qui stipulait que « sauf faute grave un salarié ne peut être licencié s’il n’a pas fait l’objet au préalable d’au moins 2 sanctions ».
En l’espèce, le salarié faisait valoir que la lettre d’observation avait une incidence sur son maintien dans l’entreprise dans la mesure où elle pouvait conduire en cas de deux sanctions à un licenciement.
La Cour d’appel a rejeté sa demande retenant que les 2 sanctions prononcées ne nécessitaient pas d’entretien préalable « en l’absence de dispositions conventionnelles contraires ». Selon les juges, ces sanctions pouvaient seulement « ouvrir la voie à l’engagement d’une procédure de licenciement ».
Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation n’est pas de cet avis et rappelle que si « l’employeur n’est en principe pas tenu de convoquer un salarié à un entretien avant de lui notifier un avertissement ou une sanction de même nature, il en va autrement lorsque des dispositions d’une convention collective, instituant une garantie de fond, subordonnent le licenciement d’un salarié à l’existence de deux sanctions antérieures ».
En l’espèce, l’article 33 de la CCN applicable prévoyait :
- d’une part, que les sanctions disciplinaires applicables aux salariés étaient l’observation, l’avertissement, la mise à pied avec ou sans salaire pour un maximum de 3 jours et le licenciement ;
- d’autre part, sauf en cas de faute grave, il ne pouvait y avoir de mesure de licenciement à l’égard d’un salarié si ce dernier n’a pas fait l’objet précédemment d’au moins deux des sanctions précitées prises dans le cadre de la procédure légale.
Pour la Cour de cassation, la CCN subordonnait donc le licenciement à l’existence de deux sanctions antérieures pouvant être notamment une observation, de sorte que l’employeur était tenu de convoquer le salarié à un entretien préalable avant de lui notifier les deux sanctions qui étaient de nature à avoir une incidence, immédiate ou non, sur la présence dans l’entreprise du salarié au sens de l’article L. 1332-2 du code du travail.
Il en résulte que les sanctions prononcées étaient irrégulières.
Note : Toutefois, en l’espèce, les sanctions n’ont pas été annulées dans la mesure où le salarié ne l’avait pas demandé et avait directement contesté son licenciement.
Dans le même sens, la Cour de cassation a déjà jugé que lorsqu’un règlement intérieur subordonne un licenciement à l’existence de 2 sanctions antérieures pouvant être des avertissements, l’employeur est tenu de convoquer le salarié à un entretien préalable avant chaque avertissement (Cass. Soc., 3 mai 2011, n° 10-14.104).
Il est vivement recommandé à l’employeur, qui envisage de prononcer une sanction disciplinaire tel qu’un avertissement, de vérifier les dispositions prévues par la CCN ou par le règlement intérieur. Si les dispositions prévoient que l’avertissement peut avoir une influence sur le maintien du salarié dans l’entreprise, l’employeur doit convoquer le salarié à un entretien avant de lui notifier la sanction.
Rappel : Il convient de distinguer 2 systèmes de vidéosurveillance au sein de l’entreprise :
Le système qui est utilisé pour contrôler l’activité des salariés ;
Le système qui est installé pour la sécurité dans des lieux où l’activité des salariés n’est pas exercée.
L’employeur qui envisage de mettre en place un système de vidéosurveillance pour contrôler l’activité des salariés doit notamment informer et consulter le CSE (art. L. 2312-37 du Code du travail) et en informer personnellement et préalablement chaque salarié concerné (art. L. 1222-4 du Code du travail).
Tout enregistrement d’images ou de paroles à l’insu des salariés constitue un mode de preuve illicite (Cass. Soc., 20 septembre 2018, n° 16-26,482).
En revanche, la mise en place d’un système de vidéosurveillance destiné à assurer la sécurité des locaux où les salariés n’ont pas en principe accès n’est pas soumise à l’information des salariés.
Les images recueillies par une caméra installée pour assurer la sécurité peuvent-elles servir de preuve pour licencier un salarié soupçonné de voyeurisme dans les toilettes ?
Cass. Soc., 22 septembre 2021, n° 20-10.843
Dans cette affaire, un salarié a été licencié pour faute grave sur le fondement d’images obtenues par le dispositif de vidéosurveillance situé dans le couloir réservé aux stocks de l’entreprise.
Ces images révélaient que le salarié se livrait à des pratiques de voyeurismes dans les toilettes des femmes.
Le salarié a saisi la juridiction prud’homale pour contester son licenciement au motif que les images recueillies constituaient un moyen de preuve illicite dans la mesure où le dispositif de vidéosurveillance n’avait pas fait l’objet d’une consultation préalable du CSE et d’une information des salariés.
La Cour d’appel a fait droit à sa demande et a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Pour les juges, l’employeur aurait dû consulter le CSE et en informer les salariés dans la mesure où les caméras permettaient de visualiser les portes des toilettes.
L’employeur s’est pourvu en cassation faisant valoir que le dispositif avait été installé non pas pour contrôler l’activité des salariés mais pour assurer la sécurité du magasin et des zones de stockage.
La Cour de cassation a retenu l’argumentaire de l’employeur et a censuré cette décision en rappelant sur le fondement de l’article L. 1222-4 du Code du travail que « si l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de ses salariés pendant le temps de travail, il ne peut être autorisé à utiliser comme mode de preuve les enregistrements d’un système de vidéosurveillance permettant le contrôle de leur activité dont les intéressés n’ont pas été préalablement informés de l’existence ».
Or, en l‘espèce, la Haute juridiction reproche aux juges d’avoir retenu que le mode de preuve était illicite « sans constater que le système de vidéosurveillance avait été utilisé pour contrôler le salarié dans l’exercice de ses fonctions ».
Note : Il s’agit d’une confirmation de jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. Soc., 11 décembre 2019, n° 17-24.179). La Cour a en effet jugé à plusieurs reprises qu’un système de vidéosurveillance utilisé pour assurer la sécurité d’un magasin et non pour contrôler l’activité peut servir de moyen de preuve pour attester de la faute d’un salarié sans que ne soient requises ni la consultation préalable du CSE ni l’information préalable des salariés (Cass. Soc., 18 novembre 2020, n°19-15.856).
Il convient pour l’employeur d’être vigilant lors du placement au sein de l’entreprise d’un dispositif de vidéosurveillance car le régime est différent s’il est placé dans un but de sécurité ou de contrôle des salariés. Dès lors qu’il s’agit de contrôler l’activité des salariés, il doit accomplir les formalités préalables prescrites par les articles L. 2312-37 du Code du travail et L. 1222-4 du Code du travail, à peine que le dispositif mis en place pour contrôler l’activité ne puisse être valablement utilisé à l’encontre du salarié.
Rappel : Chaque personne dispose d’un compte personnel de formation (CPF) lui permettant, tout au long de sa carrière professionnelle, d’acquérir des droits à la formation.
Depuis le 1er janvier 2019, le CPF n’est plus crédité en heures mais en euros (loi n° 2016-1088 du 8 août 2016).
Le CPF du salarié dont la durée de travail est :
supérieure ou égale à la moitié de la durée légale ou conventionnelle de travail sur l’ensemble de l’année est alimenté à hauteur de 500€ au titre de cette année, dans la limite d’un plafond total de 5 000€ ;
inférieure à la moitié de la durée légale ou conventionnelle de travail sur l’ensemble de l’année est alimenté, au titre de cette année, d’une fraction du montant mentionné ci-dessus, calculée à due proportion de la durée de travail qu’il a effectuée (art. L. 6323-11 et R.6323-11 du Code du travail).
Un salarié qui obtient la requalification de son contrat à temps partiel en temps complet peut-il demander la régularisation de son CPF ?
Cass. Soc., 22 septembre 2021, n° 19-25.575
Dans cette affaire, une salariée a été engagée suivant un contrat à temps complet. Par la suite, son employeur lui a imposé unilatéralement un temps partiel.
Contestant cette décision, la salariée a saisi, en 2012, le CPH pour solliciter un rappel de salaire sur la base d’un temps complet et notamment l’alimentation de son CPF.
La salariée a obtenu un rappel de salaire sur la base du temps plein. Mais les juges ont refusé de rétablir la salariée dans ses droits au titre de son CPF estimant que « l’acquisition des heures comptabilisées sur le compte personnel de formation se fait à proportion des heures travaillées nonobstant la reconnaissance du droit de la salariée à un rappel de salaire sur la base du temps plein ».
Pour la cour, la salariée, qui a bénéficié d’un rappel de salaire sur la base d’un temps plein, n’avait pas pour autant travaillé à temps complet et que l’acquisition des heures au titre du CPF doit se faire à proportion du temps de travail.
À tort selon la Cour de cassation qui casse et annule l’arrêt d’appel sur le fondement de l’article L. 6323-11 du Code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi du 8 août 2016.
Pour la Haute juridiction, dans la mesure où la Cour d’appel a alloué un rappel de salaire sur la base d’un temps complet, la salariée pouvait demander à être rétablie dans ses droits au titre de son CPF.
La Cour précise que ce rétablissement doit s’effectuer pour la période et à hauteur des heures de travail afférentes au rappel de salaire qui lui a été alloué.
Note : La requalification d’un contrat à temps partiel en un contrat à temps plein peut entraîner des conséquences financières multiples pour l’employeur : rappel de salaire et des congés payés, des dommages et intérêts, rappel de l’alimentation du CPF etc.
Jurisprudence – Relations collectives
Rappel : Le télétravail peut être mis en place dans le cadre :
d’un accord collectif ;
ou, à défaut, d’une charte élaborée par l’employeur après avis du CSE ;
ou, en l’absence d’accord collectif ou de charte, par un accord entre le salarié et l’employeur, formalisé par tout moyen (art. L. 1222-9 du Code du travail).
Le télétravail ne peut être imposé au salarié. Lorsque le télétravail est mis en place par accord collectif ou une charte, la conclusion d’un avenant n’est pas impérative mais reste recommandée comme mode de preuve de l’acceptation du salarié.
En cas de circonstances exceptionnelles liées notamment à une épidémie (ex : Covid-19), le télétravail peut être imposé comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés (art. L. 1222-11 du Code du travail).
La prise en charge par l’employeur des coûts liés à l’exercice des fonctions est une obligation générale issue de la jurisprudence dont il ne peut s’exonérer (Cass. Soc., 25 févr. 1998, n° 95-44.096). Ce principe s’applique que le salarié soit en présentiel ou en télétravail.
Un employeur peut-il refuser d’accorder le bénéfice de la prise en charge des frais professionnels aux salariés placés en télétravail du fait de la crise de Covid-19 et n’ayant pas signé un avenant à leur contrat ?
T. jud. Paris., 28 septembre 2021, n° 21/06097
Le 3 janvier 2020, une entreprise a signé un accord relatif au télétravail prévoyant 2 modalités de télétravail :
- le télétravail régulier de 2 jours maximum par semaine, soumis à la signature d’un avenant et indemnisé à hauteur de 5€ bruts par jour télétravaillé pour compenser les frais liés au télétravail ;
- le télétravail occasionnel, non soumis à un avenant ni à une indemnisation, de 40 jours maximum par an.
À compter du 16 mars 2020 et conformément aux prescriptions gouvernementales, tous les salariés ont été placés en télétravail à 100 %, sans distinguer selon qu’ils aient ou non conclu un avenant de télétravail.
S’agissant de la prise en charge des frais, l’entreprise a alors opéré une distinction entre :
- les salariés ayant signé un avenant télétravail qui percevaient une indemnisation à hauteur de 10€ par semaine maximum ;
- les autres salariés non-signataires d’avenant qui ne percevaient aucune indemnité.
Estimant que cette différence de traitement n’était pas justifiée, des syndicats ont saisi le Tribunal judiciaire pour solliciter l’indemnisation des salariés sur le principe d’égalité de traitement.
A ce titre, l’employeur faisait valoir que :
- tous les salariés avaient été placés en télétravail en application de l’article L. 1222-11 du Code du travail qui n’impose pas le versement d’une indemnité et non selon les stipulations de l’accord ;
- c’est par erreur que les télétravailleurs réguliers au sens de l’accord ont continué à percevoir une indemnité et qu’il pourrait d’ailleurs solliciter la régularisation auprès des salariés ;
- les stipulations de l’accord avaient été suspendues dans le cadre de l’épidémie. Dès lors, les demandes de signatures d’avenant seraient examinées lors du « retour à la normale ».
Salariés placés dans une situation identique
Les juges n’ont pas été sensibles à ces arguments et ont condamné l’employeur à indemniser tous les salariés en télétravail de la même manière.
Ils rappellent que « le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que soient réglées de façon différente des situations différentes, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la règle qui l’établit ».
Suspension de l’accord jugée déloyale
En suspendant unilatéralement le processus de signature des avenants de télétravail et en refusant de donner suite aux demandes qui lui ont été présentées, les juges ont estimé que l’employeur a empêché les salariés d’accéder à l’avantage octroyé dès le 16 mars 2020 et ce jusqu’à la reprise à la normale de l’activité de sorte que l’employeur avait fait une application déloyale de l’accord télétravail.
Dès lors, la différence de traitement reposant sur une exécution déloyale de l’accord n’est pas justifiée par une raison objective et matériellement vérifiable.
Indemnisation pour tous les salariés
Le juge rappelle que la prise en charge des frais professionnels dans le cadre de la mise en œuvre du télétravail en cas de circonstances exceptionnelles ou de force majeure est prescrite par l’accord national interprofessionnel du 26 novembre 2020, étendu par arrêté du 2 avril 2021.
En effet, la prise en charge des frais professionnels s’applique également aux situations de télétravail en cas de circonstances exceptionnelles.
Or, en l’espèce, l’employeur prenait en charge, en application de l’accord, une quote-part des frais de fonctionnement réellement supportés par le télétravailleur dans le cadre de son activité professionnelle correspondant à 5€ bruts par jour réellement effectué en télétravail.
Dès lors, le Tribunal a considéré qu’il convenait d’appliquer cette indemnisation à tous les salariés placés en situation de travail, dans le cadre de l’article L. 1222-11 du code du travail, sur le fondement du principe de l’égalité de traitement.
Indemnisation régularisée à compter du jour de l’assignation
Etonnamment, le tribunal a en conséquence condamné l’entreprise à verser à tous les salariés en télétravail du fait de la crise sanitaire une indemnité de 5€ par jour effectivement télétravaillé à compter du 4 mai 2021 (date de l’assignation), la régularisation ne pouvant être rétroactive à la demande en justice.
En revanche, le juge n’accorde pas cette indemnité pour l’avenir.
Impossibilité de compenser par le versement des frais de transport
L’entreprise demandait que les sommes versées à titre d’indemnité de transport maintenue aux salariés pendant la période soient déduites des sommes qu’elle serait condamnée à verser au titre du télétravail. Mais le tribunal l’a refusé.
Note : Il s’agit à notre connaissance de l’une des premières décisions sur le sujet, qui est susceptible d’appel.
Il est rappelé qu’en application du principe d’égalité de traitement, les télétravailleurs bénéficient des mêmes droits et avantages légaux et conventionnels que ceux applicables aux salariés en situation comparable travaillant dans les locaux de l’entreprise (ANI du 19 juillet 2005, ANI du 26 novembre 2020 et art. L. 1222-9 du Code du travail).
Pour mémoire, la prise en charge des frais par l’employeur peut s’effectuer soit :
- sur la base des dépenses réellement engagées par le salarié et justifiées par la présentation de factures ;
- par le versement d’une indemnité forfaitaire dont le montant varie selon le nombre de jours de télétravail. Cette indemnité est réputée utilisée conformément à son objet et exonérée de cotisations et contributions sociales dans la limite globale de:
- 10 € par mois, pour un salarié effectuant une journée de télétravail par semaine, 20 € par mois pour un salarié effectuant deux jours de télétravail par semaine, 30 € par mois pour 3 jours par semaine etc. ;
- ou 2,50€ par jour de télétravail dans la limite de 55€ par mois.
Si l’allocation forfaitaire est prévue par la convention collective de branche, l’accord professionnel ou interprofessionnel ou un accord de groupe, elle est réputée utilisée conformément à son objet et exonérée de cotisations et contributions sociales dans la limite des montants prévus par accord collectif, dès lors que l’allocation est attribuée en fonction du nombre de jours effectivement télétravaillés.
Si l’allocation est prévue par un accord d’entreprise ou d’établissement, elle ne peut être exonérée qu’à hauteur des plafonds légaux de droit commun (Cf ci-dessus).
Lorsque le montant versé par l’employeur dépasse ces limites, l’exonération de charges sociales pourra être admise à condition de justifier de la réalité des dépenses professionnelles supportées par le salarié (tolérances de l’Urssaf reprises dans le BOSS).
Législation et réglementation
La Commission nationale informatique et libertés (Cnil) a publié 2 questions-réponses (QR), le 29 septembre dernier :
- L’un portant sur la collecte de données personnelles sur le lieu de travail;
- L’autre portant sur le pass sanitaire et l’obligation vaccinale.
Dans ces QR, la Cnil répond aux problématiques pratiques qui se posent en entreprise en matière de protection des données personnelles des salariés dans le contexte actuel de la crise sanitaire.
Ces QR rappellent et apportent des précisions supplémentaires aux QR diffusés par le Ministère du travail.
Présentation du document (pass sanitaire ou obligation vaccinale)
Quoi présenter ?
Les salariés des établissements concernés par l’obligation de détenir un pass sanitaire sont tenus, durant les horaires d’ouverture au public, de le présenter au format papier ou numérique notamment sur l’application TousAntiCovid.
Le responsable de l’établissement ne doit pas exiger autre chose que la présentation de ce document.
Il ne peut en aucun cas exiger du salarié de présenter des informations :
- sur son statut vaccinal ou sur le schéma vaccinal réalisé (ex : le nombre de doses, les dates d’injection ou le type de vaccin),
- sur son intention de se faire vacciner ou non,
- sur un certificat de vaccination ou le résultat d’un test de dépistage.
Dans les établissements non concernés par une obligation de présentation d’un pass sanitaire, l’employeur ne peut demander à ces salariés des informations relatives à leur statut vaccinal.
Le salarié soumis à l’obligation vaccinale doit satisfaire à son obligation en présentant un certificat de statut vaccinal auprès de son employeur.
Comment le transmettre ?
L’employeur ou le responsable d’établissement ne peut demander à ses salariés de lui transmettre le pass sanitaire ou certificat de vaccination par SMS ou par courriel, même s’il s’agit d’un courriel professionnel.
Si un salarié communique un tel document de cette façon, l’employeur doit le traiter et le supprimer.
Quand présenter son pass ?
Le salarié concerné doit le présenter systématiquement pour se rendre sur son lieu de travail, durant les horaires d’ouverture au public.
Comme l’a déjà précisé le QR du ministère du travail intitulé « Obligation de vaccination ou de détenir un pass sanitaire pour certaines professions » (mis à jour le 13 octobre 2021), un salarié peut, s’il le souhaite et à son initiative, présenter un justificatif de statut vaccinal à son employeur afin de bénéficier d’un titre simplifié l’autorisant à se rendre sur son lieu de travail sans avoir à présenter son pass sanitaire.
L’employeur ne peut l’imposer, ni conditionner le retour au travail des salariés à la présentation de ce justificatif.
Concernant le format du titre simplifié, la Cnil met en garde contre les signes visibles, type bracelet : « la possibilité d’identifier visuellement les personnes vaccinées ou non vaccinées au sein d’un même lieu de travail est susceptible de constituer une pratique discriminatoire ». Un badge semblerait plus adapté.
L’employeur peut-il demander la présentation du pass sanitaire pour accéder :
- aux restaurants d’entreprise ?: Non, ils ne sont pas concernés par l’obligation de détenir un passe sanitaire.
- à un événement, déplacement ou pour aller à l’étranger ?: Non, seul le personnel et les services habilités des lieux concernés peuvent effectuer un tel contrôle. Mais l’employeur peut prévenir le salarié de l’existence d’une telle obligation.
Conservation de l’information sur le schéma vaccinal
Dans les établissements soumis à l’obligation vaccinale, l’employeur ne peut conserver le certificat de statut vaccinal du salarié. Il peut seulement consigner le résultat de la vérification opérée (oui/non).
Il est de même lorsqu’un salarié présente un certificat de rétablissement ou de contre-indication à la vaccination.
Ces informations peuvent être inscrites dans un fichier dédié ou encore dans le dossier personnel du salarié.
Le résultat de la vérification peut être conservé jusqu’à la fin de l’obligation vaccinale ou si elle est antérieure, jusqu’à la date de fin du contrat de travail.
Ces informations doivent être réservées uniquement par les personnes habilitées (ex : service RH). Ainsi, ni le supérieur hiérarchique, ni les autres salariés ne doivent y avoir accès.
Collecte des informations en cas de signalement d’une contamination
Lorsqu’un salarié signale à son employeur avoir été contaminé à la Covid-19, ce dernier doit être vigilant dans sa manière de traiter ce signalement et d’informer les salariés cas contacts.
Les employeurs ne doivent « traiter que les données strictement nécessaires à la satisfaction de leurs obligations légales ». Le seul objectif de la collecte des données est de « prendre les mesures organisationnelles (mise en télétravail, orientation vers le médecin du travail, etc.), de formation et d’information, ainsi que certaines actions de prévention des risques professionnels ».
Ainsi, l’employeur ne doit traiter et collecter que :
- l’identité de la personne ;
- l’information selon laquelle elle serait contaminée ou suspectée de l’être ;
- les dates pertinentes, notamment afin de déterminer les salariés cas contacts (dates de contacts, de début des symptômes et de prélèvement des tests positifs) ;
- les autres éléments permettant de déterminer les salariés cas contacts ;
- les mesures organisationnelles prises.
La Cnil rappelle la possibilité en entreprise de désigner un référent Covid-19 pour réaliser ce travail de tracing en interne.